Les masques, il n'y en avait pas, ou pas assez, ou alors on ne savait
plus où on les avait mis, ou s'ils étaient périmés. L'épisode de pénurie est
passé, rien de moins qu'une commission sénatoriale se penche encore sur
cet épisode de la pandémie, c'est du sérieux, avec le responsable de
l'époque, ils sont en train de jouer une partie de poker menteur, quand ils se
réunissent, je me demande quelle case ils cochent sur leur attestation de
déplacement dérogatoire.
Les tests, il n'y en avait pas non plus. Comme pour les masques, mais
en pire : Pas de tests, pas d'écouvillons à mettre dans le nez, pas de réactifs,
pas de personnel de prélèvement autorisé (c'est un geste simple mais
délicat, c'est comme tout, ça demande une formation, ça s'apprend). Les
tests arrivent, un peu à la fois, les files d'attente s'allongent devant les
laboratoires et les barnums montés à la hâte, les délais d'obtention des
résultats sont si longs que quand ils t'arrivent, tu ne te souviens plus que tu
avais subi le test, en tout cas, c'est trop long pour servir à quelque chose,
même les responsables des opérations, les intégristes du test à tout va, les
acharnés du « je teste à fond tête baissée droit dans le mur » s'en sont
rendus compte. Ces tests, c'était sur prescription médicale, remboursé,
l'enthousiasme s'est affadi, on ne se bouscule plus pour se faire tester, c'est
devenu libre et gratuit (pas pour la sécu, qui a même instauré un tarif
dégressif pour les labos selon la vitesse à laquelle les résultats sont rendus,
à deux jours, ce n'est plus payé, c'est un peu comme pour les œufs frais du
jour, à part qu'ils restent payants (les œufs), mais moins chers, la sécu est
plus drastique que le BOF de ton quartier), on va relancer des campagnes de
tests à grand renfort de publicité, on te prévient en même temps que ça ne
sert pas à grand chose (sensibilité, spécificité, quand tu auras le temps, jette
un coup d’œil aux informations disponibles à propos des tests, ça va te
laisser sceptique, tu vas te rendre compte que tout ça, c'est quand même
surtout de la poudre aux yeux). Les plus hautes autorités préconisent de
pratiquer un test, et en même temps te conseillent, même si c'est négatif, de
faire attention et de continuer à respecter les consignes (tellement il y a de
faux négatifs, mais ça, ils ne te le disent pas trop, déjà la pratique du test en
prévention, c'est un concept qui confine à l'absurde, si le résultat n'est pas
plus fiable que ça comme c'est le cas, c'est carrément du délire). Les tests de
masse, ça peut avoir un intérêt pour les épidémiologistes (et encore, sous
certaines conditions), un intérêt scientifique donc, mais pas pour la lutte
contre l'épidémie, j'attends de voir ce qu'ils vont en penser à Liverpool, au
Havre ou à Charleville, je veux bien faire amende honorable si on me
persuade raisonnablement que ça fait avancer le schmilblick.
Et puis, il y a le vaccin... Pierre Perret chante « Et puis y a le baiser
d'Zézette, le plus salé le plus sucré c'est le plus chouette » après avoir
énuméré et décrit nombre baisers. Pour le vaccin, c'est pareil, je devrais dire
les vaccins, c'est une course de fond, sinon un marathon, les premiers sont
arrivés, les autres sont encore sur la cendrée du dernier tour, d'autres
encore ne sont pas arrivés sur le stade, on attend le classement, ceux qui
sont dans les temps ne seront pas éliminés pour autant. Il y a encore des
places à prendre au palmarès.
Les anglais sont partis devant (leur administration serait un peu plus
réactive que la nôtre ?), les américains suivent, que leur président menace de
virer le patron de la FDA (Food and Drug Administration, l'équivalent de notre
Agence Nationale de Sécurité du Médicament) s'il n'autorise pas très
rapidement le vaccin m'interpelle sur la qualité de cette autorisation, et aussi,
c'est plus grave, sur l'indépendance des institutions de contrôle vis-vis des
gouvernants de la plus grande démocratie du monde (c'est elle qui le dit, ça
doit être vrai). Ce serait assez pour faire douter de la qualité du vaccin.
Poutine l'a peut-être fait pour le vaccin russe (« stimuler » les autorisations),
on n'en sait rien, si c'est le cas, il a eu le bon goût d'être discret. Les chinois
n'expliquent pas tout, là, on n'est plus dans la discrétion, c'est carrément la
confidentialité, voire l'opacité.
L'urgence relative de la situation incite à préconiser des opérations de
masse, et aussi à prioriser les populations cibles, et ça devient un problème
de logistique un peu ardu, certes, mais pas insurmontable. Le vaccin n'est
pas encore conditionné en seringues individuelles, il va donc falloir prévoir
des opérations collectives, par groupes (comme à l'armée de ma jeunesse).
Vacciner à la chaîne dans les EHPAD est louable, si on veut aller vite, encore
faut-il obtenir un consentement éclairé du bénéficiaire, ou à défaut de sa
tutelle ou de la personne de confiance, l'intuition me permet de penser que ça
va prendre un certain temps : si tu prévois de vacciner dix petits vieux qui ont
dit oui, et que deux n'ont pas le papier qui va bien, qu'est-ce que tu fais ? Tu
ne peux que prévoir de revenir, et jeter le restant du flacon qui a réchauffé
pendant ce temps-là. Sans compter que le petit vieux, il a le droit de changer
d'avis, ou de ne plus se rappeler, il y en a qui sont comme ça des petits vieux
(les petites vieilles, c'est encore pire, mais je ne le dis qu'à voix basse, pour
ne pas être taxé de sexisme et me retrouver insulté sur un réseau sociaux
quelconque (le réseau sociaux a ceci de singulier qu'il est toujours pluriel, ce
qui a pour effet de compliquer l'accord de l'adjectif qualificatif épithète !). Tout
ça se complique un peu s'il faut une seconde injection, mais ce n'est qu'une
question d'agendas et de calendriers, il suffit d'accorder les violons (mais
c'est plus difficile à faire qu'à dire, je ne sais pas si tu as déjà tenté d'accorder
un violon, moi, ça me dépasse [ce n'est pas dans mes cordes], il est vrai que
je n'ai pas beaucoup d'oreille, je n'ai pas bon caractère, je me suis fâché avec
un diapason).
Mais la remarque est vraie aussi pour d'autres catégories de
population. Entre ceux qui voudront se faire vacciner aussi vite que possible,
les obsessionnels, les inquiets, les anxieux, les scrupuleux, les pressés, les
avant-gardistes, ceux qui préfèrent, le cul entre deux chaises, réfléchir un
peu, prendre du recul et voir ce que ça donne, les timides, les timorés, les
velléitaires, les sélectifs méticuleux qui voudront choisir entre tel ou tel
vaccin, les soit-disant bien informés, les délicats, les fines bouches, les
difficiles, les consommateurs avertis et ceux qui ne viendront que si on leur
propose celui qui a leur faveur, je souhaite bien du plaisir aux logisticiens
astucieux et pleins de ressources pour réguler les approvisionnements. Sans
compter ceux qui le voudront casher et/ou halal. Je m'imagine la scène d'ici,
comme chez le poissonnier quand tu choisis tes huîtres entre Marennes et
belons : « Que me proposez-vous comme vaccin ? Y, je reviendrai quand
vous aurez Z . Et pour la deuxième injection, ce sera disponible ? Faites-vous
le même pour végétalien ou végétarien ? Et pour les intolérants au gluten,
c'est possible ? ». Et comme ça va être un produit fort couru, au moins au
début, il y aura peut-être des imitations. Il va falloir traquer la fraude, peut-
être instaurer un label rouge, une AOC.
Après, un peu à la fois, les craintes vont s'estomper, mais
l'enthousiasme aussi, les files d'attente vont disparaître, il va falloir faire de la
retape, « Il est beau, il est frais mon vaccin ! ». Peut-être en proposera-t-on,
comme dans les grandes surfaces, trois pour le prix de deux, ça ne marchera
pas (deux injections suffisent, tu fais quoi de la troisième ?), il y faudra
probablement, comme pour la lessive de ma jeunesse, le cadeau Bonus.
Et rien n'est encore vraiment décidé pour ce qui concerne le geste
vaccinal proprement dit. Lors de la phase invasive de la pandémie (en clair, la
première vague), on a maladroitement négligé le rôle du généraliste libéral
(du médecin de famille pour parler français), on (le même négligent) cherche
à se rattraper en arguant que c'est ce même médecin qui a la confiance du
patient, et que c'est lui qui va savoir convaincre les hésitants, on (encore le
même, un peu têtu non ?) ne se rend pas compte du temps et de la salive
qu'il va devoir dépenser à cette mission, déjà on (toujours le même, il insiste,
le bougre) l'a autorisé à télé-consulter précédemment tant il manque de
temps médical, peut-être qu'on (décidément, il s'incruste, ce on) pense que
ça peut se faire en télé-travail.
On n'a pas encore l'AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), mais on
sait déjà que ça sera le 29 décembre (le matin, ou l'après-midi, ou tard dans
la soirée ? Attention au couvre-feu !). Laissons passer les fèves, galettes et
tirages de rois, pour une mise en place dans les EHPAD mi janvier, il y en
aura bien jusqu'au printemps, surtout si on inclut les personnels soignants,
apparemment réticents. Pour les vieux et fragiles, mais moins vieux et moins
fragiles toutefois, et compte tenu de l'entraînement acquis, on se retrouve vite
fait en été, le temps de quelques couacs, ruptures de stock et autres retards
de livraison, on peut estimer qu'en population générale, les opérations de
masse seront en bonne voie mais encore en cours (comme on dit quand on
est vraiment à la bourre et ne pas vouloir passer pour un rigolo [pour la
syntaxe, je pense que cette phrase boîte un peu, mais je l'aime bien comme
ça, tu peux toujours poser réclamation, mais avec une enveloppe affranchie
pour la réponse, et de toute façon sans garantie]), pour la saint Sylvestre
2021, sans exclure quelques opérations de rattrapage. C'est dire que le
couvre-feu, je ne me risque plus à prophétiser (ou alors à mi-temps
seulement, c'est une occupation par trop erratique qui ne nourrit pas son
homme [sans avenir en quelque sorte, ce qui est paradoxal, tu me
l'accorderas]), je peux seulement prédire qu'il y en aura encore pour un
moment (à moins qu'on ne préfère rejouer à stop and go, ce qui est encore
fort possible, nous ne sommes pas à l'abri d'une maladresse
supplémentaire). En attendant, Joyeux Noël !
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