Voyage à Chypre
Ayant eu l'opportunité de m'intégrer à un voyage de groupe de l'ADCL,
je vais essayer de vous faire partager les impressions que j'en ai ressenties.
Si tu penses que je vais te réciter l'itinéraire jour par jour, et de raconter par le
menu ce que j'ai bouffé, tu tombes mal. Non, je vais te dire, par flash(es) [on
n'est pas dans l'écriture inclusive que je trouve ridicule par ailleurs, c'est
simplement que pour le pluriel du mot flash me pose problème], ce que j'ai vu
et entendu, un pêle-mêle d'images, de notions historiques qui s'entrecroisent
confusément (j'ai une petite tête et j'essaie de faire avec).
Chypre est une île. Je le savais avant d'y aller, mais il a quand même
fallu que je m'habitue à l'idée. Tu ne peux y accéder qu'à la nage, à la rigueur
en bateau. Plus communément, et comme on était un peu pressés (c'était un
séjour d'une semaine), on a préféré l'aérien au maritime. Déjà quatre heures
de vol, ça te paraît long. Les hôtesses sont prêtes à te chouchouter, mais
elles ont systématiquement le lecteur de carte de crédit à la main. Il n'y a que
le ramassage des poubelles qui n'est pas payant, et là, quand on y réfléchit
bien, c'est mieux qu'à la maison où tu les paie avec la taxe foncière (je suis
un peu mauvaise langue, les toilettes non plus n'étaient pas payantes).
Chypre est une île. C'est dire que si on n'y prend garde lors des
déplacements, on risque vite de se retrouver de l'autre côté, et l'autre côté
c'est partout, il y a de l'eau tout autour (c'est un peu comme ça pour toutes
les iles, pour les atolls, c'est un peu plus compliqué, je pourrais te faire un
dessin, mais là, on serait vite hors-sujet, et puis je ne sais pas dessiner, j'ai
déjà du mal avec le traitement de texte).
Chypre est une île avec un passé riche, très riche (8000 ans avant
Jésus-Christ, le livre d'histoire comporte forcément quelques pages blanches,
mais il y a quand même de quoi raconter, et notre guide ne s'en est pas
privée (je te mets le « e » parceque notre guide était une femme, mais j'ai
des doutes, je ne suis pas sûr qu'il faille accorder, d'un autre côté je m'en
fous, vous n'aurez qu'à demander à quelqu'un qui sait, je voyageais avec du
beau monde, il y avait une ex-inspectrice d'académie dans le groupe). Notre
guide était une femme donc, charmante, diserte, cultivée, pieuse chrétienne
orthodoxe à ce qu'il m'a paru, mais surtout intensément et sans modération
chypriote. Te dire qu'elle n'aime pas les Turcs serait un euphémisme, mais
attention pas les insulaires qui s'entendaient et s'entendent toujours bien
avec les grecs chypriotes (tu peux aussi dire cypriote, c'est toi qui vois, tu
peux économiser un « h » , il n'y a pas de petites économies...). Au passage,
il semblerait que les anglais ne soient pas non plus sa tasse de thé (si je
peux en l'occurrence me permettre cette expression).
Chypre est une île carrefour : carrefour de grandes civilisations,
carrefour des grandes routes commerciales, incidemment carrefour des
croisades, même Richard Coeur de Lion s'y est marié au passage, avec
Bérengère de Navarre si tu veux tout savoir, je n'ai pas réussi à savoir si
c'était à l'aller ou au retour, tout compte fait on s'en fout un peu, c'était il y a
longtemps, il y a prescription, et on n'est pas là pour une interrogation écrite.
Tu ne peux pas t'y déplacer sans tomber sur des nécropoles antiques, des
vestiges phéniciens, grecs, romains, paléo-chrétiens, ottomans, francs-
médiévaux, j'en oublie certainement, je te les mets dans l'ordre à peu près,
mais c'est au petit bonheur, tu trouveras bien un érudit sérieux qui t'aidera
pour une chronologie plus pointilleuse. J'y ai vu des basiliques en ruines, des
cathédrales ou ce qu'il en restait, de petites églises et des chapelles
modestes enluminées de fresques somptueuses, j'y ai vu la cathédrale
Sainte Sophie transformée en mosquée par les ottomans (à vrai dire je n'en
ai vu que les échafaudages de la restauration, mais ça te donne une idée
quand même. À Paris, les touristes qui tentent de voir Notre Dame ne sont
pas plus gâtés). J'y ai vu des mosaïques romaines qui faisaient référence au
Christ, une rareté paraît-il, j'ai même vu des mosaïques romaines d'avant les
romains (mais là, c'est un peu confus, j'en suis moins certain).
Chypre c'est du territoire anglais, enfin au moins un petit morceau, que
si tu y commets un excès de vitesse, tu te retrouves devant un juge anglais,
mais c'est anglais à moitié seulement, les propriétaires terriens restent
chypriotes, comme je me le suis fait expliquer : si tu voles une pomme dans
un verger de l'enclave britannique, de sont des policiers chypriotes qui
interviennent et qui t'extradent vers l'Angleterre, bref, c'est aussi compliqué
que pour Carlos Ghosn et l'imam Hassan Iquioussen, t'as vraiment intérêt à
ne pas aimer les pommes. Séquelle du temps où l'île était tout à fait anglaise,
tu roules à gauche, tu t'en fous un peu, tu es conduit en bus, mais j'ai
personnellement eu beaucoup de mal à m'habituer à monter dans le bus à
l'opposé de mes habitudes, à gauche, du côté du conducteur (si ça te paraît
confus, fais une pause, je suis sûr que tu vas finir par comprendre).
Chypre, c'est du territoire turc. Enfin ça, ce sont les Turcs qui le disent,
et qui te le font bien sentir, avec des barbelés et des contrôles tatillons. La
capitale a été coupée en deux, comme Berlin, mais en plus petit (Berlin, ça
s'est arrangé, là, ça n'a pas l'air de prendre le chemin de l'apaisement). Les
insulaires parlent pudiquement de territoire occupé, mais mon opérateur
téléphonique habituel m'a bien fait remarquer que j'étais en Turquie (et plus
en Europe donc hors forfait Europe). On en n'est plus à une aberration près,
les habitants de cette zone, turcs chypriotes, ont droit à un passeport
européen, c'est te dire si ce monde n'est pas simple.
Chypre, c'est une île très pénétrée de religion, le christianisme
orthodoxe et l'islam y sont prédominants. C'est dire si les églises sont
nombreuses. Je n'y ai pas vu beaucoup de mosquées (probablement qu'elles
ne présentent pas un intérêt touristique majeur). En tout cas celle que nous
avons visitée, je m'en suis vu refuser l'accès par un cerbère intransigeant : le
règlement stipulait que mes rotules devaient être couvertes. Je portais un
short pourtant décent, de style anglais, arrêtant juste au dessus de genou.
J'ai tenté de négocier en l'abaissant à la taille, un peu comme les jeunes font
maintenant, rien n'y a fait. Je me suis consolé à la pensé que le Prophète
avait probablement dû graver quelque part (sur des omoplates de mouton
selon la tradition) que les genoux étaient excitants et sexy, ça m'a fait chaud
au cœur de savoir que mes zones patellaires pouvaient susciter des
émotions salaces (et répréhensibles?) chez quelqu'un et ainsi le détourner de
Dieu. Dans les églises, j'ai noté la hauteur invraisemblable de la chaire (le
sermon pouvait venir de haut), il fallait une échelle pour y grimper, et aussi
une certaine agilité semble-t'il. Je n'ai pas eu l'occasion de le vérifier, j'aurais
eu trop peur du sacrilège...
Chypre, c'est l'île d'Aphrodite, et là, on est dans le dur : elle a du
pedigree la bête : déjà connue chez les babyloniens et les phéniciens,
déesse de la fécondité et de l'amour (tout un programme), voila-t'il pas qu'elle
sort de l'écume justement à Paphos. On sait à quoi elle ressemblait (sauf
pour les bras) puisqu'on l'a identifiée comme « la Vénus de Milo », et aussi
qu'elle avait un tempérament certain (en bref et moins élégamment, elle avait
la cuisse hospitalière) si l'on en juge par le nombre de ses partenaires
connus, dieux et mortels, tout lui était bon. C'est ça la réputation, tout n'est
pas forcément vrai, mais comme on dit, mais on ne prête qu'aux riches.
Comme on dit, avec admiration pour ce qui me concerne, mais pour d'autres
parfois avec une certaine condescendance réprobatrice, elle avait du
tempérament, c'est un peu normal, ce n'est pas qu'une coïncidence, Chypre
est une île volcanique. Nous avons même pu visiter un des lieux de ses
rencontres avec Adonis, une source dont l'eau était censée nous rajeunir (j'y
ai trempé les pieds sans résultat probant, j'avais au moins espéré des
chaussettes neuves).
J'ai tendance à me méfier des voyages dits culturels, avec un
programme surchargé de visites d'édifices et de lieux qu'il ne faut manquer
sous aucun prétexte, moi qui suis un béotien pragmatique peu enclin au
romantisme, un peu rustre peut-être me diras-tu, lors de ce séjour itinérant, je
ne me suis pas ennuyé une seconde, il faut dire que je m'y suis longuement
imprégné de culture locale, non, je n'ai pas appris le grec, encore moins le
turc, par contre j'ai fait une cure intensive l'apéritif local, l'ouzo, ceci
expliquant probablement cela. En tout cas, j'y retourne quand tu veux...
1 commentaire:
Quel plaisir Charles de te lire, d'autant que l'âge ( 92 e ) ne me permet plus de voyager !
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