25 octobre 2024

Chronique de Charles en GÉORGIE

Tout ça est venu d'un malentendu : 

On m'avait bien vanté la Géorgie, j'avais compris Ray-Charles et « Georgia on my mind », gros succès de 1960, et surtout comme un poing levé dans la lutte pour les droits civiques (des noirs) et contre la ségrégation. Il y avait eu aussi les Beatles en 1968 avec « Back in the USSR », j'aurais dû me méfier, mais là rien à voir avec les USA, le voyage concernait la Géorgie de Staline. Indépendante certes, rien à voir avec la Russie, tu peux y aller sans crainte, mais si tu réfléchis un peu, l'Ukraine aussi était indépendante il n'y a pas si longtemps. Tu peux y aller sans problème, disaient nos instances diplomatiques, avec quelques réserves toutefois, mais je ne le sentais quand même pas bien, ce pays coincé entre la Turquie et le grand frère russe, l'avion qui doit nous y emmener survolera la mer noire, à portée de missile mal intentionné ou défectueux. Bref un pays où, semble t'il, tu ne vas pas sans y être obligé... J'avais signé, il allait falloir boire le calice jusqu'à la lie. 

Roissy Charles de Gaulle, enregistrement automatique à peine pénible, à la longue, on s'habitue, sandwich en carton, on se rattrapera dans l'avion. Eh bien non ! Pareil, le « menu végan » unique proposition, c'est un petit pain assez fatigué qui a déjà fait trois fois l'aller et retour enserrant deux minces rondelles de concombre agrémentées de râpures de carotte servi par un steward désabusé. Où sont les pimpantes hôtesses d'antan d'Air France ? Le trajet n'est pas assez long, paraît-il, pour justifier d'un plateau repas. 

Arrivée à Tbilissi, c'est la capitale, je ne t'apprends rien, c'est un nom imprononçable au point que les arabes disent Tifliz, arrivée donc dans le noir, pause sans intérêt aux bureaux de change, on s'apercevra à l'usage, qu'ils prennent l'euro aussi facilement que je rigole, il n'y a que pour aller pisser qu'il faut avoir recours à la monnaie locale. La collation à l'hôtel n'est pas des plus enthousiasmantes, question bouffe, ce fut une triste journée... 

Le lendemain, visite piétonne de la capitale, vieux quartiers, églises avec ses fidèles témoignant d'une ferveur incontestable (j'ai vu une petite vieille sortant à reculons en se signant trois fois à l'envers, ce qui démontre à la fois cette ferveur, mais aussi une confiance inconditionnelle dans le Seigneur et ses voies impénétrables en même temps qu'une parfaite maîtrise de l'équilibre, descendre un escalier irrégulier en marche arrière les yeux tournés vers l'iconostase, chapeau bas la vieille !), ruelles bordées de restaurants à touristes, architecture locale typique avec balcons et terrasses, et surtout, le Tamada, symbole du boute-en-train folklorique, espèce d'animateur forcené qui enchaîne les toasts, bref comme on dit chez nous un chauffeur de salle, un metteur d'ambiance, mais traditionnel, et élevé à la hauteur d'une institution. A l'occasion d'un repas chez l'habitant, on en a eu un, costumé avec bottes, sabre à la ceinture et cartouchières de poitrine, balalaïka en bandoulière, c'est comme ça que je me représentais les cosaques du Don (qui n'est pas si loin d'ici, tout est relatif), ça n'a pas été un franc succès. Il faut bien reconnaître que porter un toast avec un vin qui s'apparente à un vinaigre doux, tu ne fais évidemment qu'y tremper les lèvres, tu ne finis pas ton verre, l'ambiance a forcément du mal à se réchauffer. En même temps, on était trop occupés, les coudes au corps faute de place, de regrouper, faute de place également sur la table, les nombreux plats servis en vrac dans n'importe quel ordre et jamais débarrassés (une habitude locale probablement, cet amoncellement au cours du repas sans jamais dégarnir, on a fini par s'habituer). 

Tour de téléphérique, joli point de vue en hauteur sur la ville et le fleuve qui la traverse (forcément, un téléphérique, tu as un point bas et un point haut [le plus souvent]), Musée National, le Trésor, la Toison d'or, tu ne pouvais pas la louper (le royaume de Colchide, c'était ici, la légende, ce n'était pas une légende, c'était une vraie peau de mouton où récupérer les pépites). 

La Géorgie est un petit pays (en gros deux fois la Suisse, mais trois fois moins peuplé), si tu n'y prends garde, tu as vite fait de te cogner sur les bords. Nous sommes d'abord allés à l'ouest, à la limite de l'Azerbaïdjan et de la Turquie, cathédrale du 11ème, et château vinicole. Je suis encore perplexe, on m'a fait goûter avec beaucoup de tralalas des vins soit disant sublimes qui m'ont paru quelconques, et on m'a servi à table, au cours d'un des meilleurs repas du séjour, un vin plus qu'honorable. Va-t'en comprendre Charles ! La Géorgie berceau millénaire de l'activité vinicole, méthode ancestrale avec jarres enterrées et méthode traditionnelle avec fûts en bois d'arbre (importés de France !) m'a surpris, il faut croire que je n'y connais rien, mais comme dit l'autre, des goût et des couleurs... (L'autre, c'est juste une façon de dire que tu ne sais plus d'où tu tires ta citation, et que tu ne veux pas passer pour un ignare, l'autre a bon dos...) 

Marché couvert de Telavi, pittoresque, entre orient et occident, cave vinicole encore, enterrée puis déterrée [la période soviétique a eu sa prohibition] entre jarres et tonneaux là aussi, toujours pas franchement convaincu par les vins géorgiens pourtant de haute réputation (mais c'est moi qui suis un béotien). Monastère du 9ème siècle. Déjeuner chez l'habitant, pas de Tamada, mais des chants polyphoniques (ça fait un peu comme en Corse, mais je ne m'avancerai pas plus, comme musicographe je suis minable, c'est la faute de mon père que je vénère, Paix à ses cendres ! qui me disait, ce qui compte, ce sont tes notes à fort coefficient (math et latin), pour la musique et la gymnastique, ce n'est pas important). 

La route militaire, grand axe Nord-Sud (ou Sud-Nord, c'est toi qui vois), importante (nous à Bondues, on a le Pavé stratégique, eux ils ont la Route Militaire). On l'a parcourue de bout en bout, avec des haltes incontournables, le monument garni de céramiques à l'indéfectible et slave amitié russo-géorgienne (bâti après je ne sais plus quelle guerre, et avant je ne sais plus quelle autre : pour l'instant, avec les russes, c'est je t'aime, mon non plus), l'église de la Trinité, le village montagnard quasi-abandonné de Sno, la frontière russe, et là quand j'écris incontournable, on ne s'est même pas approchés. Pas vu, même de loin, le moindre uniforme russe, me fais-je des idées, ou y avait-il une tension palpable ? Retour à l'hôtel de bonne heure (pour une fois) qui permet une pause au bar avant dîner, agréable mais un peu longuette, il a fallu plus d'une heure pour que tout le monde soit servi, entre cocktails compliqués et barman ataraxique. 

Le lendemain, Gori, la ville natale de l'homme d'acier : j'en ai déjà vu des maisons natales, généralement une plaque indicatrice suffit. Non, ici, c'est une mise sous cloche majestueuse dans une sorte de mausolée aux piliers de marbre, au milieu d'un parc, on nous explique que l'environnement sans intérêt a été rasé, remanié, pour ne garder que la bicoque au milieu d'un joli parc créé pour la circonstance. C'est sûr que le culte de la personnalité avait de ces excès. Le Musée Staline est du même métal si j'ose l'écrire ainsi. Le wagon blindé du grand homme (1,68 m à confirmer) jouxte sans dépareiller l'ensemble. N'empêche que, et c'est une rareté, le musée ne comporte pas de toilettes, il faut traverser la rue pour trouver son bonheur (pourrait-on y voir un symbole?). 

Koutaïssi, deuxième ville du pays nous a ensuite accueillis dans un restaurant devenu calme au départ d'un car d'asiatiques bruyants et énervés (Ah, ces touristes !). Ambiance sympathique, il y avait même un piano bar. Nuit d'hôtel paisible s'il n'y avait eu un concert de chiens errants, impossible de protester, on était pourtant sous les fenêtres du commissariat. Apparemment, ces derniers sont pris en charge partout en Géorgie, marqués d'un petit pin's à l'oreille, ils n'ont pas l'air dénutris, et, encore mieux, on ne trouve pas trace de leurs déjections. Départ pour le marché, quand tu en as vu un, c'est un peu toujours la même chose, on enchaîne avec la cathédrale de Bagrati avant de rouler au nord vers la Svanétie, pays montagnard pittoresque avec ses nombreuses « tours de défense » (en résumé, je t'explique cette stratégie imparable, quand l'envahisseur arrive, de ta tour, tu le vois venir, tu montes dans ta tour avec femme et enfants, et un peu de provisions, et tu attends placidement que ça se passe). 

Le lendemain, en route vers le plus haut village d'Europe. Avec St-Véran, je nous croyais bien placés, incontestablement ils sont plus hauts : n'empêche, nous on peut y aller avec des autos normales, à,St-Véran. Ici, il y faut des 4x4, on est même tombés en panne de route. Mais je n'avais pas trop peur, notre conducteur d'une piété exacerbée se signait, et, dans le rite orthodoxe, c'est à l'envers de chez nous, et trois fois de suit, à chaque occurrence sur la route d'un édifice religieux, et ici, c'est presque comme en Bretagne, où il y a un calvaire à chaque croisée des chemins. Et, puis dans notre sabir anglo-géorgien, je ne savais pas trop comment lui dire de ne pas lâcher son volant. Déception, les nuages nous ont empêchés de photographier le plus haut sommet du Caucase (dans sa partie géorgienne si on veut être pointilleux). Musée ethnographique remarquable, surprenant même, au retour. 

Cap au sud-ouest ensuite, avec déjeuner chez l'habitant, musicien et francophone (ce n'est pas incompatible, j'ai vérifié), descendant des Murat par la fesse gauche si j'ai bien compris, meilleur musicien qu'architecte si j'en juge sur sa maison construite de ses mains. Blague à part, je n'ai pas vu son auto, mais pour les autres repas « chez l'habitant » j'ai remarqué que nos hôtes disposaient de berlines très haut de gamme, alors que le parc automobile géorgien est assez disparate et pour une bonne partie vieillot, la restauration de groupes de touristes comme activité d'appoint est peut-être très lucrative, va savoir... 

Batumi, ville touristique, balnéaire, portuaire, avec hôtel dans la vieille ville inaccessible aux autocars. L'Université aux formes caractéristiques, le restaurant de qualité en haut d'une tour, l'horloge astronomique, les statues mobiles d'Ali et Nino, le retour au port de plaisance des parachutes ascensionnels tractés par des hors-bords, tout se mélange en une vision kaléidoscopique. On est là à deux pas de la Turquie. 

Un peu plus tard, Borjomi, ville thermale dont l'eau pétillante a submergé en son temps toute la sphère soviétique et dont la splendeur maintenant fanée subsiste encore, m'a fait penser à Vichy. Grandeur et décadence... Départ pour Rabath, la forteresse historique du 9éme siècle, remaniée sans cesse, œcuménique (je cite le guide), à la fois mosquée, synagogue, église (c'est vrai que plus œcuménique, tu ne sais pas faire)... Site troglodyte impressionnant, descente par le tunnel, on était prévenus, mes genoux s'en souviennent encore. Encore un déjeuner chez l'habitant, avec feu de cheminée et préparation de cheveux de fromage (et une auto de luxe devant le garage, une Renault !). 

Repas d'adieu, c'est la fête à Tbilissi, dîner spectacle avec chants et danses géorgiens. Je n'ai pas eu l'occasion, mais le sujet est sensible, de discuter avec notre guide des subtilités qui différencient le folklore géorgien du russe, mais de toutes façons, compte tenu de ma culture, ça doit être un peu trop subtil pour moi. Le vol retour proposait les mêmes sandwiches qu'à l'aller, Air-France dispose probablement d'un stock qu'ils n'arrivent pas à écouler... J'étais près d'un hublot, ce serait sans intérêt, mais ça me permettait grâce au GPS de mon téléphone (qui fonctionne quand on est près d'un hublot) de savoir par où on passe. Il se trouve que le vol passe juste au dessus de Sébastopol, c'est très près à mon goût d'une zone de conflit, j'aurais préféré ne pas le savoir...

Revoir quelques photos

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci à Charles pour cet excellent reportage.
Pour l’anecdote, je faisais partie des quelques passagers mis au régime vegan, qui ne digére toutefois pas les concombres....
J’attends avec plaisir celui d’Égypte.