30 novembre 2024

Chronique de Charles, Retour d' Egypte

Retour d'Egypte 

Impressions contrastées et disparates. On a tout vu, et on n'a rien vu.  On s'est émerveillé et on s'est morfondu à la fois. Tourbillon d'activités  échevelées, et moments de farniente alangui. Comment veux-tu que je te  résume une affaire pareille ? 

Des réveils aux aurores, à des heures d'exécution capitale,quatre si je  compte bien pour un séjour de 11 jours (ou 10 nuits, les hôteliers comptent  en nuitées, les agences de voyage en jours, comme les hôpitaux) : 1 départ  pour Louqsor, 2 les montgolfières, 3 Abou Simbel, et 4 les vols du retour, qui  te dépaysent un peu, des heures d'autocar (500 km dans la demi-journée)  dans un désert où il n'y a personne forcément (c'est un vrai désert, avec des  vrais dromadaires à une seule bosse), se déchausser et se rechausser à  haute fréquence (plus souvent, il est vrai, pour des contrôles aéroportuaires  que pour entrer dans les mosquées), un hôtel sur deux tours au bord du Nil,  où tu es obligé de passer par la piscine pour aller déjeûner, et où le rez-de chaussée est à l'étage, où on te fait passer par un sas de sécurité à l'entrée,  autant de raisons d'être perturbé, bien plus que par un décalage horaire  insignifiant. 

Histoire de ne pas être pris au dépourvu,

j'avais prévu de prendre des  notes pour étayer mon propos. Pour écrire à propos de Chypre et pour la  Georgie, je m'étais servi du programme du voyagiste, et de quelques photos  personnelles, mais là, je voulais faire dans le sérieux, j'ai une réputation à  défendre, je ne peux plus faire dans le léger. Manque de pot, avec mon  écriture de médecin réputée illisible (en réalité, j'ai rédigé très peu de  prescriptions), j'ai beaucoup de mal à me relire, heureusement il y a deux  pharmaciens dans le groupe (je préfère dire, en toute révérence, deux dames avec un diplôme de pharmacien plutôt que deux pharmaciennes) réputés  savoir me déchiffrer en cas de besoin. J'essaierai de respecter une certaine  chronologie, mais je ne garantis rien, un peu de fantaisie ne nuit pas, et j'ai  parfois l'humeur vagabonde (c'est pas vrai, c'est juste que je ne m'y retrouve  pas dans mes notes). 

L'Egypte, elle m'a submergé en plusieurs vagues, la première c'était au  début des années 60, grande exposition à Paris des trésors de Ramsès II, les laboratoires qui cajolaient les carabins proposaient des gravures  somptueuses dont j'ai tapissé ma chambre d'étudiant pauvre. Le folklore  étudiant m'avait d'ailleurs amené à participer activement à l'époque, par effet  de mode, aux funérailles d'un certain Phymosis IV lors du cross de  l'Université (souvenirs, souvenirs...). La deuxième période, c'est quand la  momie du même Ramsès est venue se faire soigner (pas toute seule, on l'a  aidée !), à Paris toujours, pour des champignons malvenus, c'était chez nous  qu'il y avait les meilleurs spécialistes paraît-il. Dernière occurrence enfin un 

peu plus tard mais seulement pour s'offrir une radiotomodensitométrie (pour  faire simple, tu peux dire scanner comme tout le monde). 

L'ADCL proposait la destination, Brigitte y était déjà allée (en 89 m'a t'elle précisé) et m'a montré ses images de l'époque (as-tu remarqué, on est  toujours plus vieux que sur les photos), elle a accepté qu'on y aille  ensemble...  

Arrivée au Caire dans le noir, formalités policières habituelles plus ou  moins tâtillonnes, questionnaires à renseigner écrits en vermicelles,  heureusement il y aussi des caractères latins et de l'anglais, visa autocollant,  rencontre avec notre guide à la fois francophone et parfaitement  compréhensible, une bénédiction. Le car roule vite, à gauche, j'ai cru un  moment que c'était un héritage grand breton, mais non. Le klaxon lui est plus  utile que le clignotant semble-t'il, on s'habituera à la longue, à cette conduite  souple mais sans concession. Personnellement, je n'ai pas encore compris  leur façon d'interpréter le code de la route. Tintin pour un pot d'accueil  pourtant prévu, il faut croire que ce n'était pas contractuel... 

5 h 45 au car (aux aurores je vous dis) Petit cours de géographie Basse Egypte Haute Egypte (on n'est pas interloqué, c'est comme chez nous, les  Pays-Bas, c'est en haut, les Hauts-de-France c'est en bas). Lever de soleil  sur le Nil le dieu Ra dans toute sa splendeur (c'est grâce à lui si les cairotes  son cuites) on n'a pas entendu les appels à la prière, pourtant ça ne manque  pas de minarets. Au petit déjeûner à l'hôtel, des femmes voilées, d'autres le  nombril à l'air, c'est bien une terre de contrastes. Au programme, les  pyramides et le sphynx, l'allée principale qui mène du Nil à Kheops. C'est  impressionnant assurément, mais pas aussi gigantesque que je me  l'imaginais. Memphis avec Ramsès en grès couché, puis la pyramide à  degrés, et le point de vue sur les pyramides nombreuses. Touristes à  profusion, progression parfois difficile et lente entre téléobjectifs démesurés  et amateurs de selfies, genre « moi devant le Sphinx » (quelqu'un  m'expliquera peut-être un jour pourquoi il faut tenir son appareil très haut à  bout de bras pour faire une belle photo de pyramide, alors que d'autres se  cambrent, pubis en avant, pour essayer d'obtenir le même résultat. J'en ai  aussi vu accroupis probablement pour une contre plongée, au risque de se  faire écraser par la foule). Et partout à la sortie des sites, des vendeurs de  pacotille, harceleurs comme des mouches d'orage, collants comme des  morpions (c'est par ouï-dire, je n'ai jamais eu de morpions, mais c'est l'idée  que je m'en fais. De toute façon, si j'en avais eu, je ne le dirais pas). 

Départ à 6 h 30 pour la mosquée d'albâtre (on a pu garder ses  godasses, ils nous ont fourni des sur-chaussures. Catéchèse (si le mot est  acceptable, je n'en suis pas sûr concernant l'islam) de la part de notre guide,  les cinq piliers, les ablutions, la direction de la Mecque, les femmes qui prient 

derrière les hommes (pour leur éviter, aux hommes, devant tous ces  postérieurs en l'air, les pensées impures et de se détourner de Dieu, les  contingences pratiques bassement matérielles et fonctionnelles risquant de  prendre le pas sur l'élévation souhaitée de l'âme, pas fou le prophète !). On  reste dans le religieux avec l'église suspendue sur la forteresse romaine, la  chapelle de la fuite en Egypte (quatre ans de séjour sans permis, tu te rends  compte, les problèmes d'immigration, c'est pas nouveau), une église copte  pour déboucher sur le souk devant la mosquée, exactement au moment de la sortie de la messe du dimanche (ou plutôt la sortie des prières du vendredi, il  faut te dire que chez les musulmans, le dimanche tombe un vendredi). C'est  peu d'écrire qu'il y a cohue : imagine la grande braderie de Lille, mais avec  des cars de touristes en plus. On a réussi à écraser personne. L'après-midi,  musée, en résumé, que des vieilleries. Mais là, je parle comme un Béotien  (en réalité, Akhénaton c'était superbe). 

Réveil 2 h 30 pour un départ à 3 h 30 avec les valises. Un contrôle à  l'entrée de l'aéroport, un autre après l'enregistrement. Ils nous ont confisqué  de façon aléatoire nos briques de jus de fruit (peut-être de la récupération à  titre personnel, mais je ne voudrais pas médire). Louqsor Karnak splendide  impressionnant, puis découverte de nos cabines sur le bateau et sieste  bienvenue. 

Réveil à 3 h pour les montgolfières, à 6 h pour les autres, regroupement avec les aéronautes éblouis, en route vers la Vallée des rois, le Temple des  100 millions d'années, la Vallées des Reines, transit par un atelier de  façonnage d'albâtre, pas cher, et puis tu peux négocier, si tu ne le fais pas, le  négociant est déçu, tu t'en voudrais de le fâcher. C'est simple, j'ai acheté  après beaucoup de palabres un truc au dixième du prix proposé au départ,  quand j'ai voulu acquérir le deuxième au même prix, il m'a fallu refaire toute  la négociation : un vrai plaisir je vous dis, à croire que ce qui les intéresse ce  n'est pas de vendre, c'est de marchander. 

Assouan Visite du Temple d'Horus, trop nombreux touristes, et c'est  pourtant la morte saison ! J'ai été bousculé par des mégères, à coups de  fessiers, de nichons, de sacs à dos. Je ne suis pas ochlophobe pourtant,  mais j'ai eu du mal à me concentrer sur les hiéroglyphes (c'est comme ça  qu'ils appellent les petits petches* qu'ils gravaient sur les pierres). Il y avait  des italiens exubérants, des hispaniques à peine plus réservés, des  asiatiques nombreux plus discrets (j'écris asiatiques car j'ai la faiblesse de ne pas savoir distinguer un chinois d'un japonais). Je n'ai pas entendu de  touristes francophones, s'il y en avait eu, on les aurait entendus, nous  n'avons pas la réputation d'être discrets. 

Le lendemain, à des heures raisonnables, découverte de l'obélisque  inachevé, travail titanesque inabouti (tu peux dire pharaonique aussi, je 

préfère titanesque, quoique plus incertain : les pharaons ont existé, pour les  Titans j'en suis moins sûr). Les barrages (le petit et le grand) ont retenu un  peu notre attention un moment, sans plus. Par contre le Temple de Philae,  accessible par bateaux nous a laissés pantois (influence grécoromaine et  dégradations chrétiennes par martèlement sélectif). Je mets un x à bateaux,  parce qu'il y en avait beaucoup, et qui se bousculent dans une noria  invraisemblable. Passage par une parfumerie attrape-couillons au retour,  toutes les huiles du monde, qui guérissent tout et son contraire, ça peut  même tuer les enfants qui ont des vers ! On y est revenu le lendemain soir, à  Philae, pas à la parfumerie, pour un son et lumière déambulatoire avec  beaucoup de son et un peu de lumières, et toujours autant de désordre. 

Après la sieste, mosquée (séance de « l'islam tout le monde il est beau  tout le monde il est gentil »), puis église copte, et enfin le souk. Séance dans  une épicerie, tout un folklore de marchand de cacahuètes. Harcèlement  incessant, insupportable, ceintures, babouches, tee-shirts, cigarettes, marque pages, stylos... Des gamins qui savent à peine parler et qui font la manche.  Soirée musicale nubienne, danse pour ceux qui voulaient, on n'a pas eu droit  à la danse des canards, seulement la chenille. 

Départ aux aurores pour 500 km AR Abou Simbel, ça valait le coup. Promenade en felouque, un moment de poésie inattendue, transport hors du  temps. Louvoyage paisible par manœuvres souples sous voile. Une  danseuse du ventre abondante a égayé notre soirée, je n'en demandais pas  tant... 

Traversée du Nil en bateau à moteur cette fois, vers l’île éléphantine,  réserve ornithologique et village nubien (réserve aussi : de tous temps, les  nubiens fréquentaient les rives du Nil, avec le barrage, les rives ont beaucoup bougé, forcément, impliquant le déplacement des riverains. Les nubiens  vivent en réserve, un peu comme les indiens d'Amérique, de façon  simplissime, grâce au tourisme, à voir leurs motos et tricycles étincelants, ce  n'est pas franchement la misère). Le jardin botanique cachait des groupes de jeunes en pique-nique, gais, chantant et dansant. 

Navigation vers le temple Komombo avec sa partition entre le Bien et le Mal et le musée des crocodiles. J'y ai vu un corbillard à crocodile, et deux  érections avec éjaculation gravés dans la pierre, et entendu une histoire pas  bien claire d'insémination artificielle. Imothep, architecte et médecin, révéré  comme dieu de la médecine devant lequel se trouvait agenouillé 2000 ans  après sa mort l'empereur Trajan (on ne voyait que le haut de Trajan, ça rend  dubitatif). Malgré cette célébrité posthume, rien sur les hiéroglyphes ne  permet de penser à des dépassements d'honoraires. Il faut croire que les  Anciens n'avaient pas encore inventé cette pratique. On en a profité pour  visiter une fabrique de papyrus, du vrai papyrus, qui se roule et qui ne craque 

pas, pas du papier à banane ! Si tu veux, tu peux acheter la Joconde ou la  tour Eiffel sur papyrus authentique, mais là, c'est le prix qui est pharaonique. 

L'apéritif ADCL fut aussi un grand moment. On s'est un peu trémoussé  au rythme des tambourins, on n'a pas fait la chenille, peu s'en est fallu.  Passage des écluses au fil de l'eau vers Louqsor et son temple œcuménique illuminé (beau temple avec son allée de 3 km avec alignement de sphynx, sa  mosquée et ce qui reste d'une église chrétienne) [je te mets un s pour le  pluriel de sphynx, mais c'est à ton bon vouloir, je n'ai pas réussi à déterminer  s'il en fallait ou pas]. 

3 h 10, départ avec les valises. Contrôles d'aéroport à l'entrée, les  pieds nus, le passeport à la main. Contrôle inopiné de la valise et de la  trousse de médicaments de Brigitte par un douanier amène mais méticuleux : c'est un air qu'il se donne, il tient les boîtes à l'envers, ça me rassure, je nous  voyais mal injustement impliqué à tort dans un trafic louche. Deux contrôles  de sécurité au départ, plus un en transit. Le reste du voyage sans histoire ou  presque : quelques valises sont restées au Caire ! 

Avec le recul, j'ai fait un voyage merveilleux (toutefois adorné des  considérations gastro-intestinales et digestives des uns et des autres), que je  souhaite à beaucoup de personnes. Nous avions un guide attentif disert et  cultivé, amoureux de son pays, patriote jusqu'au chauvinisme : selon lui, il y a 4000 ans, les égyptiens auraient tout inventé avant tout le monde : le  monothéisme, le papyrus (il n'a pas dit l'écriture), l'insémination artificielle.  Pour les chiottes à la turque, et le fil à couper le beurre, il a été plus discret.  Pour ce qui est de notre éducation religieuse, on a eu droit une  démonstration époustouflante de langue de bois à propos des différences  entre Sunnites et Chiites, simple querelle de famille à ses dires, avec virage  engagé de la conversation (comme on dit en aviation) vers le salafisme, et  subtil dégagement en touche, la mise en cause ultime du terroriste Ben  Laden agent formé par la CIA pour contrecarrer les russes en Afghanistan.  On n'a pas eu l'occasion d'évoquer la situation politique actuelle, ç'aurait été  malvenu. N'empêche que ce fut un beau voyage, dans un beau pays où sévit toutefois une misère noire, et qui expose un passé culturel très riche. 

*petche : en patois très local halluinois, petit personnage dessiné. Terme  affectueux désignant parfois les enfants. 

Il est possible que le mot soit compris à Bousbecque, voire à Linselles....  

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Charles m’a encore bien fait rire, merci .

Michelle a dit…

Bravo Charles. Ton récit nous fait revivre avec fidélité et humour notre beau voyage.