Retour d'Egypte
Impressions contrastées et disparates. On a tout vu, et on n'a rien vu. On s'est émerveillé et on s'est morfondu à la fois. Tourbillon d'activités échevelées, et moments de farniente alangui. Comment veux-tu que je te résume une affaire pareille ?
Des réveils aux aurores, à des heures d'exécution capitale,quatre si je compte bien pour un séjour de 11 jours (ou 10 nuits, les hôteliers comptent en nuitées, les agences de voyage en jours, comme les hôpitaux) : 1 départ pour Louqsor, 2 les montgolfières, 3 Abou Simbel, et 4 les vols du retour, qui te dépaysent un peu, des heures d'autocar (500 km dans la demi-journée) dans un désert où il n'y a personne forcément (c'est un vrai désert, avec des vrais dromadaires à une seule bosse), se déchausser et se rechausser à haute fréquence (plus souvent, il est vrai, pour des contrôles aéroportuaires que pour entrer dans les mosquées), un hôtel sur deux tours au bord du Nil, où tu es obligé de passer par la piscine pour aller déjeûner, et où le rez-de chaussée est à l'étage, où on te fait passer par un sas de sécurité à l'entrée, autant de raisons d'être perturbé, bien plus que par un décalage horaire insignifiant.
Histoire de ne pas être pris au dépourvu,
j'avais prévu de prendre des notes pour étayer mon propos. Pour écrire à propos de Chypre et pour la Georgie, je m'étais servi du programme du voyagiste, et de quelques photos personnelles, mais là, je voulais faire dans le sérieux, j'ai une réputation à défendre, je ne peux plus faire dans le léger. Manque de pot, avec mon écriture de médecin réputée illisible (en réalité, j'ai rédigé très peu de prescriptions), j'ai beaucoup de mal à me relire, heureusement il y a deux pharmaciens dans le groupe (je préfère dire, en toute révérence, deux dames avec un diplôme de pharmacien plutôt que deux pharmaciennes) réputés savoir me déchiffrer en cas de besoin. J'essaierai de respecter une certaine chronologie, mais je ne garantis rien, un peu de fantaisie ne nuit pas, et j'ai parfois l'humeur vagabonde (c'est pas vrai, c'est juste que je ne m'y retrouve pas dans mes notes).L'Egypte, elle m'a submergé en plusieurs vagues, la première c'était au début des années 60, grande exposition à Paris des trésors de Ramsès II, les laboratoires qui cajolaient les carabins proposaient des gravures somptueuses dont j'ai tapissé ma chambre d'étudiant pauvre. Le folklore étudiant m'avait d'ailleurs amené à participer activement à l'époque, par effet de mode, aux funérailles d'un certain Phymosis IV lors du cross de l'Université (souvenirs, souvenirs...). La deuxième période, c'est quand la momie du même Ramsès est venue se faire soigner (pas toute seule, on l'a aidée !), à Paris toujours, pour des champignons malvenus, c'était chez nous qu'il y avait les meilleurs spécialistes paraît-il. Dernière occurrence enfin un
peu plus tard mais seulement pour s'offrir une radiotomodensitométrie (pour faire simple, tu peux dire scanner comme tout le monde).
L'ADCL proposait la destination, Brigitte y était déjà allée (en 89 m'a t'elle précisé) et m'a montré ses images de l'époque (as-tu remarqué, on est toujours plus vieux que sur les photos), elle a accepté qu'on y aille ensemble...
Arrivée au Caire dans le noir, formalités policières habituelles plus ou moins tâtillonnes, questionnaires à renseigner écrits en vermicelles, heureusement il y aussi des caractères latins et de l'anglais, visa autocollant, rencontre avec notre guide à la fois francophone et parfaitement compréhensible, une bénédiction. Le car roule vite, à gauche, j'ai cru un moment que c'était un héritage grand breton, mais non. Le klaxon lui est plus utile que le clignotant semble-t'il, on s'habituera à la longue, à cette conduite souple mais sans concession. Personnellement, je n'ai pas encore compris leur façon d'interpréter le code de la route. Tintin pour un pot d'accueil pourtant prévu, il faut croire que ce n'était pas contractuel...
5 h 45 au car (aux aurores je vous dis) Petit cours de géographie Basse Egypte Haute Egypte (on n'est pas interloqué, c'est comme chez nous, les Pays-Bas, c'est en haut, les Hauts-de-France c'est en bas). Lever de soleil sur le Nil le dieu Ra dans toute sa splendeur (c'est grâce à lui si les cairotes son cuites) on n'a pas entendu les appels à la prière, pourtant ça ne manque pas de minarets. Au petit déjeûner à l'hôtel, des femmes voilées, d'autres le nombril à l'air, c'est bien une terre de contrastes. Au programme, les pyramides et le sphynx, l'allée principale qui mène du Nil à Kheops. C'est impressionnant assurément, mais pas aussi gigantesque que je me l'imaginais. Memphis avec Ramsès en grès couché, puis la pyramide à degrés, et le point de vue sur les pyramides nombreuses. Touristes à profusion, progression parfois difficile et lente entre téléobjectifs démesurés et amateurs de selfies, genre « moi devant le Sphinx » (quelqu'un m'expliquera peut-être un jour pourquoi il faut tenir son appareil très haut à bout de bras pour faire une belle photo de pyramide, alors que d'autres se cambrent, pubis en avant, pour essayer d'obtenir le même résultat. J'en ai aussi vu accroupis probablement pour une contre plongée, au risque de se faire écraser par la foule). Et partout à la sortie des sites, des vendeurs de pacotille, harceleurs comme des mouches d'orage, collants comme des morpions (c'est par ouï-dire, je n'ai jamais eu de morpions, mais c'est l'idée que je m'en fais. De toute façon, si j'en avais eu, je ne le dirais pas).
Départ à 6 h 30 pour la mosquée d'albâtre (on a pu garder ses godasses, ils nous ont fourni des sur-chaussures. Catéchèse (si le mot est acceptable, je n'en suis pas sûr concernant l'islam) de la part de notre guide, les cinq piliers, les ablutions, la direction de la Mecque, les femmes qui prient
derrière les hommes (pour leur éviter, aux hommes, devant tous ces postérieurs en l'air, les pensées impures et de se détourner de Dieu, les contingences pratiques bassement matérielles et fonctionnelles risquant de prendre le pas sur l'élévation souhaitée de l'âme, pas fou le prophète !). On reste dans le religieux avec l'église suspendue sur la forteresse romaine, la chapelle de la fuite en Egypte (quatre ans de séjour sans permis, tu te rends compte, les problèmes d'immigration, c'est pas nouveau), une église copte pour déboucher sur le souk devant la mosquée, exactement au moment de la sortie de la messe du dimanche (ou plutôt la sortie des prières du vendredi, il faut te dire que chez les musulmans, le dimanche tombe un vendredi). C'est peu d'écrire qu'il y a cohue : imagine la grande braderie de Lille, mais avec des cars de touristes en plus. On a réussi à écraser personne. L'après-midi, musée, en résumé, que des vieilleries. Mais là, je parle comme un Béotien (en réalité, Akhénaton c'était superbe).
Réveil 2 h 30 pour un départ à 3 h 30 avec les valises. Un contrôle à l'entrée de l'aéroport, un autre après l'enregistrement. Ils nous ont confisqué de façon aléatoire nos briques de jus de fruit (peut-être de la récupération à titre personnel, mais je ne voudrais pas médire). Louqsor Karnak splendide impressionnant, puis découverte de nos cabines sur le bateau et sieste bienvenue.
Réveil à 3 h pour les montgolfières, à 6 h pour les autres, regroupement avec les aéronautes éblouis, en route vers la Vallée des rois, le Temple des 100 millions d'années, la Vallées des Reines, transit par un atelier de façonnage d'albâtre, pas cher, et puis tu peux négocier, si tu ne le fais pas, le négociant est déçu, tu t'en voudrais de le fâcher. C'est simple, j'ai acheté après beaucoup de palabres un truc au dixième du prix proposé au départ, quand j'ai voulu acquérir le deuxième au même prix, il m'a fallu refaire toute la négociation : un vrai plaisir je vous dis, à croire que ce qui les intéresse ce n'est pas de vendre, c'est de marchander.
Assouan Visite du Temple d'Horus, trop nombreux touristes, et c'est pourtant la morte saison ! J'ai été bousculé par des mégères, à coups de fessiers, de nichons, de sacs à dos. Je ne suis pas ochlophobe pourtant, mais j'ai eu du mal à me concentrer sur les hiéroglyphes (c'est comme ça qu'ils appellent les petits petches* qu'ils gravaient sur les pierres). Il y avait des italiens exubérants, des hispaniques à peine plus réservés, des asiatiques nombreux plus discrets (j'écris asiatiques car j'ai la faiblesse de ne pas savoir distinguer un chinois d'un japonais). Je n'ai pas entendu de touristes francophones, s'il y en avait eu, on les aurait entendus, nous n'avons pas la réputation d'être discrets.
Le lendemain, à des heures raisonnables, découverte de l'obélisque inachevé, travail titanesque inabouti (tu peux dire pharaonique aussi, je
préfère titanesque, quoique plus incertain : les pharaons ont existé, pour les Titans j'en suis moins sûr). Les barrages (le petit et le grand) ont retenu un peu notre attention un moment, sans plus. Par contre le Temple de Philae, accessible par bateaux nous a laissés pantois (influence grécoromaine et dégradations chrétiennes par martèlement sélectif). Je mets un x à bateaux, parce qu'il y en avait beaucoup, et qui se bousculent dans une noria invraisemblable. Passage par une parfumerie attrape-couillons au retour, toutes les huiles du monde, qui guérissent tout et son contraire, ça peut même tuer les enfants qui ont des vers ! On y est revenu le lendemain soir, à Philae, pas à la parfumerie, pour un son et lumière déambulatoire avec beaucoup de son et un peu de lumières, et toujours autant de désordre.
Après la sieste, mosquée (séance de « l'islam tout le monde il est beau tout le monde il est gentil »), puis église copte, et enfin le souk. Séance dans une épicerie, tout un folklore de marchand de cacahuètes. Harcèlement incessant, insupportable, ceintures, babouches, tee-shirts, cigarettes, marque pages, stylos... Des gamins qui savent à peine parler et qui font la manche. Soirée musicale nubienne, danse pour ceux qui voulaient, on n'a pas eu droit à la danse des canards, seulement la chenille.
Départ aux aurores pour 500 km AR Abou Simbel, ça valait le coup. Promenade en felouque, un moment de poésie inattendue, transport hors du temps. Louvoyage paisible par manœuvres souples sous voile. Une danseuse du ventre abondante a égayé notre soirée, je n'en demandais pas tant...
Traversée du Nil en bateau à moteur cette fois, vers l’île éléphantine, réserve ornithologique et village nubien (réserve aussi : de tous temps, les nubiens fréquentaient les rives du Nil, avec le barrage, les rives ont beaucoup bougé, forcément, impliquant le déplacement des riverains. Les nubiens vivent en réserve, un peu comme les indiens d'Amérique, de façon simplissime, grâce au tourisme, à voir leurs motos et tricycles étincelants, ce n'est pas franchement la misère). Le jardin botanique cachait des groupes de jeunes en pique-nique, gais, chantant et dansant.
Navigation vers le temple Komombo avec sa partition entre le Bien et le Mal et le musée des crocodiles. J'y ai vu un corbillard à crocodile, et deux érections avec éjaculation gravés dans la pierre, et entendu une histoire pas bien claire d'insémination artificielle. Imothep, architecte et médecin, révéré comme dieu de la médecine devant lequel se trouvait agenouillé 2000 ans après sa mort l'empereur Trajan (on ne voyait que le haut de Trajan, ça rend dubitatif). Malgré cette célébrité posthume, rien sur les hiéroglyphes ne permet de penser à des dépassements d'honoraires. Il faut croire que les Anciens n'avaient pas encore inventé cette pratique. On en a profité pour visiter une fabrique de papyrus, du vrai papyrus, qui se roule et qui ne craque
pas, pas du papier à banane ! Si tu veux, tu peux acheter la Joconde ou la tour Eiffel sur papyrus authentique, mais là, c'est le prix qui est pharaonique.
L'apéritif ADCL fut aussi un grand moment. On s'est un peu trémoussé au rythme des tambourins, on n'a pas fait la chenille, peu s'en est fallu. Passage des écluses au fil de l'eau vers Louqsor et son temple œcuménique illuminé (beau temple avec son allée de 3 km avec alignement de sphynx, sa mosquée et ce qui reste d'une église chrétienne) [je te mets un s pour le pluriel de sphynx, mais c'est à ton bon vouloir, je n'ai pas réussi à déterminer s'il en fallait ou pas].
3 h 10, départ avec les valises. Contrôles d'aéroport à l'entrée, les pieds nus, le passeport à la main. Contrôle inopiné de la valise et de la trousse de médicaments de Brigitte par un douanier amène mais méticuleux : c'est un air qu'il se donne, il tient les boîtes à l'envers, ça me rassure, je nous voyais mal injustement impliqué à tort dans un trafic louche. Deux contrôles de sécurité au départ, plus un en transit. Le reste du voyage sans histoire ou presque : quelques valises sont restées au Caire !
Avec le recul, j'ai fait un voyage merveilleux (toutefois adorné des considérations gastro-intestinales et digestives des uns et des autres), que je souhaite à beaucoup de personnes. Nous avions un guide attentif disert et cultivé, amoureux de son pays, patriote jusqu'au chauvinisme : selon lui, il y a 4000 ans, les égyptiens auraient tout inventé avant tout le monde : le monothéisme, le papyrus (il n'a pas dit l'écriture), l'insémination artificielle. Pour les chiottes à la turque, et le fil à couper le beurre, il a été plus discret. Pour ce qui est de notre éducation religieuse, on a eu droit une démonstration époustouflante de langue de bois à propos des différences entre Sunnites et Chiites, simple querelle de famille à ses dires, avec virage engagé de la conversation (comme on dit en aviation) vers le salafisme, et subtil dégagement en touche, la mise en cause ultime du terroriste Ben Laden agent formé par la CIA pour contrecarrer les russes en Afghanistan. On n'a pas eu l'occasion d'évoquer la situation politique actuelle, ç'aurait été malvenu. N'empêche que ce fut un beau voyage, dans un beau pays où sévit toutefois une misère noire, et qui expose un passé culturel très riche.
*petche : en patois très local halluinois, petit personnage dessiné. Terme affectueux désignant parfois les enfants.
2 commentaires:
Charles m’a encore bien fait rire, merci .
Bravo Charles. Ton récit nous fait revivre avec fidélité et humour notre beau voyage.
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