04 janvier 2021

Chronique de Charles : Bonne Année ! Bonne Santé !

Quand j'étais jeune, mais vraiment jeune (c'est vieux, très vieux, c'était du temps où la télévision était en couleurs, mais d'une seule couleur), j'adorais les westerns, avec beaucoup de cavalcades, beaucoup de pétarades (quand tu utilises aujourd'hui une réplique d'arme à poudre noire d'époque, tu mesures combien on était loin de la réalité), peu de blessures, très peu de morts. Les scénarios (scenarii si tu préfères ou si tu veux faire croire que tu connais un peu l'italien, et ne me gonfle pas avec des détails, j'écrirai scenarii quand tu emploieras aquaria pour le pluriel d'aquariums) étaient simples voire sommaires, entre des cow-boys fringants et des indiens emplumés torses nus peinturlurés, ou alors entre le shérif étoilé et les hors- la-loi (outlaws si tu veux de la couleur locale) avec foulards sur le nez, et bien sûr parfois l'attaque de la diligence. Le convoi avec les sacs d'or au retour de la mine était aussi un classique. L'épopée du Far West faisait rêver, on croyait encore à ce vieux mythe enjolivé à qui mieux mieux. 
J'ai eu l'impression de rajeunir il y a quelques jours quand ils nous ont expliqué longuement la logistique mise en place pour le transport du vaccin. A partir d'une usine belge, pas franchement secrète mais surveillée comme les bijoux de la couronne (rassure toi, c'est une vieille expression, il y a longtemps qu'il n'y a plus de bijoux de la couronne), des camions peut-être blindés, mais plus certainement frigorifiques vont circuler, aux mains de chauffeurs habiles et assermentés, sur des itinéraires confidentiels et aléatoires prévus à l'avance, en évitant de s'arrêter dans des endroits trop propices aux embuscades, et surveillés discrètement par des forces de l'ordre perspicaces surarmées et compétentes, en civil pour plus de discrétion, mais avec des gyrophares bleus pour plus de vitesse. Des drones patrouilleront au dessus des convois pour encore plus de sécurité. Un vrai western, schématiquement, on rejoue là, et ce n'est plus du cinéma, l'attaque du train postal, à ceci près, c'est que ce n'est pas d'un train qu'il s'agit, mais de camions, lâchés dans la nature (façon de dire, ils sont un peu tenus en laisse) avec leur cargaison précieuse et réfrigérée, à la portée de malfrats avides de butin. Des vaccins en veux-tu en voilà, pour un marché parallèle juteux, à vendre sous le manteau (de fourrure, il faut les tenir au frais ces vaccins). 
Il ne faudrait tout de même pas exagérer. L'ambiance western me plaît encore beaucoup, même si le genre a beaucoup évolué (Merci Monsieur Leone pour l'avoir accommodé spaghetti), les vaccins sont précieux, mais pas au point de déclencher la convoitise de gangs à la recherche de « fraîche ». C'est quand même une marchandise relativement difficile à écouler, il y a probablement des gens pressés de bénéficier du vaccin, de passer avant leur tour (les contournements de priorité, de passe-droit, ça existe depuis toujours), mais ils n'iraient pas jusqu'à se fournir discrètement au cul des camions, et surtout, ils ne seraient pas suffisamment nombreux pour que ce soit rentable. Il existe certes des filières pour l'alcool, le tabac, les stupéfiants, les médicaments, mais pour écouler clandestinement des vaccins, je ne suis pas certain qu'on puisse en mettre en place une suffisamment lucrative pour intéresser des malfrats subtils et soucieux de profits faciles. 
A même été à cette occasion évoquée la menace terroriste. Soyons raisonnables, il y a sûrement dans nos ministères quelques cérébraux inquiets à l'imagination débridée qui surchauffent, qui aiment à jouer à se faire peur, mais on aura beaucoup de mal à me faire croire que détruire un lot de vaccins puisse avoir un impact médiatique suffisant aux yeux d'un fanatique égaré, d'un fou de dieu, pour justifier d'une action même symbolique. Tout peut et doit être envisagé quand on se préoccupe de sécurité, mais ces vaccins sont facilement remplaçables, leur perte éventuelle n'entraînerait qu'un retard insignifiant (à côté de celui qui est déjà prévu), pas de quoi susciter de grandes inquiétudes. Et pourquoi ne craindrait-on pas aussi l'attaque d'un commando anti-vaccin, tu as bien des gens qui attaquent les boucheries simplement parce qu'ils n'aiment pas la viande ? 
Sans être spécialement radieux, l'avenir me paraît donc suffisamment favorable pour la nouvelle année qui se profile. Il y aura probablement encore quelques vagues de pandémie (il y en a qui disent rebond pour ne pas dire vague, vague c'est interdit par le Ministère de la Santé et des Tests à gogo, je peux leur proposer soubresaut, ça peut le faire aussi, ça fait moins peur, mais c'est toujours la même chose en définitive), peut-être même du reconfinement (« Vous reprendrez bien un peu de reconfinement ? » « Non merci, sans façon, j'ai déjà bien assez avec le morceau de couvre-feu dont vous m'avez gratifié »), du train où vont les choses, on ne peut rien exclure, mais le plus dur semble derrière nous, même si on n'est à l'abri de rien. 
Les vaccins sont en route, avec un peu de chance, les seringues et les aiguilles aussi (oui, on ne le dit pas assez, mais le vaccin, il est livré en flacon-dose individuel, par boîte de dix ou quinze, donc il faut aussi des seringues et des aiguilles, sans quoi tu as l'air de quoi avec ton flacon, et les neuf ou quatorze autres qui réchauffent doucement dans le carton avec la neige carbonique ?). Simple question de logistique écrivais-je précédemment, mais équation à plusieurs inconnues dont la solution ne saurait sauter aux yeux, et que je te pose en résumé simplifié : 
Il te faut réunir en un même lieu, à l'abri des intempéries de préférence (sinon tout le monde risque de prendre froid), et avec un éclairage suffisant : 
- Un petit vieux fragile éclairé consentant (en état de consentir, sinon il lui faut un mot signé de ses parents, comme toi quand tu avais fait l'école buissonnière ou reçu une mauvaise note en classe), à défaut, une petite vieille éclairée fragile peut convenir aussi (tu notes bien l'importance de l'éclairage des aîtres)(attention, ne pas confondre un petit vieux fragile au consentement éclairé avec un vieillard illuminé, ce n'est pas comparable, tu peux faire la différence facilement, le premier a comme une étincelle dans le regard, l'autre dans ses yeux tu ne vois rien, c'est vide et atone, ça te foutrait le vertige si tu n'y prenais garde), 
- Un flacon-dose ramené à une température ambiante adéquate (gelé, tu ne peux pas l'injecter, trop froid, ça fait mal, trop chaud c'est inactivé, ça ne sert plus à rien), 
- Une seringue de la bonne taille avec deux aiguilles (une pour prélever dans le flacon, une autre pour piquer dans le sujet à vacciner (tu ne voudrais quand même pas te servir d'une aiguille qui s'est émoussée à piquer le caoutchouc du bouchon !), 
- Un médecin amène, sagace et compétent à la fois pour la consultation (et pour inspirer la confiance qui fait défaut à beaucoup [trop] de nos contemporains) et le geste vaccinal proprement dit (les deux actes peuvent ne pas être absolument synchrones, mais la consultation doit toujours précéder, de toute évidence), en prévoyant un petit temps d'attente, parce que la procédure prévoit un délai de rétractation de quatre jours, comme pour un crédit quand tu veux acheter une auto. 
- Un certificat de vaccination pré-renseigné où il n'y aura plus qu'à apposer d'un adroit coup d'un tampon administratif préalablement et habilement encré une certification officielle, et la date de rappel pour l'injection suivante (NB : A la seconde injection, tu n'es pas obligé de reconvoquer le sujet, tu lui dis simplement que c'est fini (attention, il y en a peut-être qui risqueraient d'y prendre goût), mais n'oublie pas le second coup de tampon pour autant !). 
Les stakhanovistes pourront bien essayer d'augmenter la « productivité » de cette séquence en programmant des groupes choisis, mais il leur faudra beaucoup de vigilance, ne pas confondre vitesse et précipitation, je doute fort qu'on puisse en arriver à des cadences intéressantes, ça ne restera toujours que de l'artisanat amélioré, surtout si tu veux conserver un minimum d'humanité, de contact social (distant et masqué), (autrement, ça devient de la médecine vétérinaire, et pour la confiance, tu repasseras, tu as du souci à te faire).
Sous ces auspices sanitaires lénifiants, je ne doute pas que 2021 finisse bien mieux qu'elle ne commence, ce qui me permet de te présenter, en temps et heure (remarque bien, je suis dans les temps, j'ai pratiquement tout janvier devant moi, mais la mode est désormais d'aller plus vite que la musique, tu trouves les fournitures scolaires et les articles de la rentrée des classes dès le mois d'août, les étalages de jouets et les vitrines de Noël dès novembre, la semaine du blanc dès Noël passé, et la galette des rois à la saint Sylvestre. De mon temps, on n'aurait jamais osé présenter des vœux avant le premier de l'an, c'était malvenu, les superstitions l'interdisaient, on se serait fait remballer vigoureusement) des vœux tous azimuts, sincères autant que faire se peut, exubérants mais sans excès, sirupeux et coulants, vigoureux, abondants, intenses et multiplexés, comme un geyser productif par giclées intermittentes et régulières, et en trajectoires arabesques spiralées, multicolores et fluorescentes (un peu à la manière de la Patrouille de France et ses sillages de fumées colorées d'Alpha-jets). Si avec ça (et le vaccin) tu ne conserves pas une bonne santé, c'est que vraiment tu le cherches, je ne peux plus rien pour toi, remue-toi un peu, il faut quand même que tu y mettes du tien, un peu de marche à pied, cinq fruits et légumes par jour. Je veux bien lever mon verre à ta santé et peut-être même plusieurs fois (je suis prêt à cette abnégation, à payer de ma personne pour favoriser ton destin), mais il y a hélas des limites à ce que je suis capable de boire, même sans soif. J'en profite aussi pour remercier (poliment, d'un ton aigre doux et sans réelle gratitude) ceux qui m'ont souhaité la bonne année l'an dernier, quand on voit ce que ça a donné, pourvu qu'ils ne me renouvellent leurs vœux cette fois-ci ! 
Et je terminerai sur ce souhait philosophique d'origine chinoise, plein de poésie, et d'une délicieuse cruauté raffinée, expression d'une sagesse amère et millénaire sur laquelle il y aurait beaucoup à dire (mais bon, les chinois, en ce moment ils n'ont pas bonne presse, pas la peine d'en rajouter), qui prouve bien que, malheureusement, pour beaucoup, dont l'âme n'est pas suffisamment sereine, il ne suffit pas simplement d'être heureux, faut-il encore que l'autre ne le soit pas : « Que mille morpions infectent et démangent le cul de ton ennemi, et fasse le ciel qu'il ait par surcroît les bras trop courts pour pouvoir se gratter ! »

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