J'ai eu l'impression de rajeunir il y a quelques jours quand ils nous ont
expliqué longuement la logistique mise en place pour le transport du vaccin. A
partir d'une usine belge, pas franchement secrète mais surveillée comme les
bijoux de la couronne (rassure toi, c'est une vieille expression, il y a
longtemps qu'il n'y a plus de bijoux de la couronne), des camions peut-être
blindés, mais plus certainement frigorifiques vont circuler, aux mains de
chauffeurs habiles et assermentés, sur des itinéraires confidentiels et
aléatoires prévus à l'avance, en évitant de s'arrêter dans des endroits trop
propices aux embuscades, et surveillés discrètement par des forces de
l'ordre perspicaces surarmées et compétentes, en civil pour plus de
discrétion, mais avec des gyrophares bleus pour plus de vitesse. Des drones
patrouilleront au dessus des convois pour encore plus de sécurité. Un vrai
western, schématiquement, on rejoue là, et ce n'est plus du cinéma, l'attaque
du train postal, à ceci près, c'est que ce n'est pas d'un train qu'il s'agit, mais
de camions, lâchés dans la nature (façon de dire, ils sont un peu tenus en
laisse) avec leur cargaison précieuse et réfrigérée, à la portée de malfrats
avides de butin. Des vaccins en veux-tu en voilà, pour un marché parallèle
juteux, à vendre sous le manteau (de fourrure, il faut les tenir au frais ces
vaccins).
Il ne faudrait tout de même pas exagérer. L'ambiance western me plaît
encore beaucoup, même si le genre a beaucoup évolué (Merci Monsieur
Leone pour l'avoir accommodé spaghetti), les vaccins sont précieux, mais
pas au point de déclencher la convoitise de gangs à la recherche de
« fraîche ». C'est quand même une marchandise relativement difficile à
écouler, il y a probablement des gens pressés de bénéficier du vaccin, de
passer avant leur tour (les contournements de priorité, de passe-droit, ça
existe depuis toujours), mais ils n'iraient pas jusqu'à se fournir discrètement
au cul des camions, et surtout, ils ne seraient pas suffisamment nombreux
pour que ce soit rentable. Il existe certes des filières pour l'alcool, le tabac,
les stupéfiants, les médicaments, mais pour écouler clandestinement des
vaccins, je ne suis pas certain qu'on puisse en mettre en place une
suffisamment lucrative pour intéresser des malfrats subtils et soucieux de
profits faciles.
A même été à cette occasion évoquée la menace terroriste. Soyons
raisonnables, il y a sûrement dans nos ministères quelques cérébraux
inquiets à l'imagination débridée qui surchauffent, qui aiment à jouer à se
faire peur, mais on aura beaucoup de mal à me faire croire que détruire un lot
de vaccins puisse avoir un impact médiatique suffisant aux yeux d'un
fanatique égaré, d'un fou de dieu, pour justifier d'une action même
symbolique. Tout peut et doit être envisagé quand on se préoccupe de
sécurité, mais ces vaccins sont facilement remplaçables, leur perte
éventuelle n'entraînerait qu'un retard insignifiant (à côté de celui qui est déjà
prévu), pas de quoi susciter de grandes inquiétudes. Et pourquoi ne
craindrait-on pas aussi l'attaque d'un commando anti-vaccin, tu as bien des
gens qui attaquent les boucheries simplement parce qu'ils n'aiment pas la
viande ?
Sans être spécialement radieux, l'avenir me paraît donc suffisamment
favorable pour la nouvelle année qui se profile. Il y aura probablement encore
quelques vagues de pandémie (il y en a qui disent rebond pour ne pas dire
vague, vague c'est interdit par le Ministère de la Santé et des Tests à gogo, je
peux leur proposer soubresaut, ça peut le faire aussi, ça fait moins peur, mais
c'est toujours la même chose en définitive), peut-être même du
reconfinement (« Vous reprendrez bien un peu de reconfinement ? » « Non
merci, sans façon, j'ai déjà bien assez avec le morceau de couvre-feu dont
vous m'avez gratifié »), du train où vont les choses, on ne peut rien exclure,
mais le plus dur semble derrière nous, même si on n'est à l'abri de rien.
Les vaccins sont en route, avec un peu de chance, les seringues et les
aiguilles aussi (oui, on ne le dit pas assez, mais le vaccin, il est livré en
flacon-dose individuel, par boîte de dix ou quinze, donc il faut aussi des
seringues et des aiguilles, sans quoi tu as l'air de quoi avec ton flacon, et les
neuf ou quatorze autres qui réchauffent doucement dans le carton avec la
neige carbonique ?). Simple question de logistique écrivais-je précédemment,
mais équation à plusieurs inconnues dont la solution ne saurait sauter aux
yeux, et que je te pose en résumé simplifié :
Il te faut réunir en un même lieu, à l'abri des intempéries de préférence
(sinon tout le monde risque de prendre froid), et avec un éclairage suffisant :
- Un petit vieux fragile éclairé consentant (en état de consentir, sinon il lui faut
un mot signé de ses parents, comme toi quand tu avais fait l'école
buissonnière ou reçu une mauvaise note en classe), à défaut, une petite
vieille éclairée fragile peut convenir aussi (tu notes bien l'importance de
l'éclairage des aîtres)(attention, ne pas confondre un petit vieux fragile au
consentement éclairé avec un vieillard illuminé, ce n'est pas comparable, tu
peux faire la différence facilement, le premier a comme une étincelle dans le
regard, l'autre dans ses yeux tu ne vois rien, c'est vide et atone, ça te foutrait
le vertige si tu n'y prenais garde),
- Un flacon-dose ramené à une température ambiante adéquate (gelé, tu ne
peux pas l'injecter, trop froid, ça fait mal, trop chaud c'est inactivé, ça ne sert
plus à rien),
- Une seringue de la bonne taille avec deux aiguilles (une pour prélever dans
le flacon, une autre pour piquer dans le sujet à vacciner (tu ne voudrais
quand même pas te servir d'une aiguille qui s'est émoussée à piquer le
caoutchouc du bouchon !),
- Un médecin amène, sagace et compétent à la fois pour la consultation (et
pour inspirer la confiance qui fait défaut à beaucoup [trop] de nos
contemporains) et le geste vaccinal proprement dit (les deux actes peuvent
ne pas être absolument synchrones, mais la consultation doit toujours
précéder, de toute évidence), en prévoyant un petit temps d'attente, parce
que la procédure prévoit un délai de rétractation de quatre jours, comme pour
un crédit quand tu veux acheter une auto.
- Un certificat de vaccination pré-renseigné où il n'y aura plus qu'à apposer
d'un adroit coup d'un tampon administratif préalablement et habilement encré
une certification officielle, et la date de rappel pour l'injection suivante (NB : A
la seconde injection, tu n'es pas obligé de reconvoquer le sujet, tu lui dis
simplement que c'est fini (attention, il y en a peut-être qui risqueraient d'y
prendre goût), mais n'oublie pas le second coup de tampon pour autant !).
Les stakhanovistes pourront bien essayer d'augmenter la
« productivité » de cette séquence en programmant des groupes choisis,
mais il leur faudra beaucoup de vigilance, ne pas confondre vitesse et
précipitation, je doute fort qu'on puisse en arriver à des cadences
intéressantes, ça ne restera toujours que de l'artisanat amélioré, surtout si tu
veux conserver un minimum d'humanité, de contact social (distant et
masqué), (autrement, ça devient de la médecine vétérinaire, et pour la
confiance, tu repasseras, tu as du souci à te faire).
Sous ces auspices sanitaires lénifiants, je ne doute pas que 2021
finisse bien mieux qu'elle ne commence, ce qui me permet de te présenter,
en temps et heure (remarque bien, je suis dans les temps, j'ai pratiquement
tout janvier devant moi, mais la mode est désormais d'aller plus vite que la
musique, tu trouves les fournitures scolaires et les articles de la rentrée des
classes dès le mois d'août, les étalages de jouets et les vitrines de Noël dès
novembre, la semaine du blanc dès Noël passé, et la galette des rois à la
saint Sylvestre. De mon temps, on n'aurait jamais osé présenter des vœux
avant le premier de l'an, c'était malvenu, les superstitions l'interdisaient, on se
serait fait remballer vigoureusement) des vœux tous azimuts, sincères autant
que faire se peut, exubérants mais sans excès, sirupeux et coulants,
vigoureux, abondants, intenses et multiplexés, comme un geyser productif
par giclées intermittentes et régulières, et en trajectoires arabesques
spiralées, multicolores et fluorescentes (un peu à la manière de la Patrouille
de France et ses sillages de fumées colorées d'Alpha-jets). Si avec ça (et le
vaccin) tu ne conserves pas une bonne santé, c'est que vraiment tu le
cherches, je ne peux plus rien pour toi, remue-toi un peu, il faut quand même
que tu y mettes du tien, un peu de marche à pied, cinq fruits et légumes par
jour. Je veux bien lever mon verre à ta santé et peut-être même plusieurs fois
(je suis prêt à cette abnégation, à payer de ma personne pour favoriser ton
destin), mais il y a hélas des limites à ce que je suis capable de boire, même
sans soif. J'en profite aussi pour remercier (poliment, d'un ton aigre doux et
sans réelle gratitude) ceux qui m'ont souhaité la bonne année l'an dernier,
quand on voit ce que ça a donné, pourvu qu'ils ne me renouvellent leurs
vœux cette fois-ci !
Et je terminerai sur ce souhait philosophique d'origine chinoise, plein de
poésie, et d'une délicieuse cruauté raffinée, expression d'une sagesse amère
et millénaire sur laquelle il y aurait beaucoup à dire (mais bon, les chinois, en
ce moment ils n'ont pas bonne presse, pas la peine d'en rajouter), qui prouve
bien que, malheureusement, pour beaucoup, dont l'âme n'est pas
suffisamment sereine, il ne suffit pas simplement d'être heureux, faut-il
encore que l'autre ne le soit pas : « Que mille morpions infectent et
démangent le cul de ton ennemi, et fasse le ciel qu'il ait par surcroît les bras
trop courts pour pouvoir se gratter ! »
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