Mauvaise langue, puisque je subodorais dans mon écrit précédent des
difficultés d'approvisionnement en vaccins, un démarrage poussif de la
campagne de vaccination qui nous conduisait dans mes prédictions au moins
à fin 2021 sinon plus tard, pour une protection immunitaire effective en
population générale. J'étais exagérément pessimiste, c'est
vraisemblablement lié à ma nature mélancolique, j'ai changé d'avis (il n'y a
que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, et comme dit l'autre, ç'a
toujours été mon avis), un peu comme le gouvernement et son Premier
Ministre (la polémique stérile ne l'enthousiasmait pas, on le comprend, mais,
pas de chance, les polémiqueurs avaient au moins partiellement un peu
raison), qui s'oblige donc au prix de contorsions intellectuelles du plus bel
effet à une volte face de toute beauté. Je ne lui entrevoyais pas autant de
souplesse au Monsieur Déconfinement à peine raté, quel beau demi tour
droite élégant, et tout ça sans se dédire, on le savait habile négociateur, mais
là, changer de cap à 180° sans changer d'idée, ça peut s'apparenter à une
forme d'art, c'est de la haute école, un cheval qui sait faire ça, tu l'envoies à
Pompadour pour la reproduction et la conservation de l'espèce. Quoiqu'il en
soit, la campagne s'est accélérée de façon significative. J'ai pu apprécier
dernièrement le fonctionnement d'un des premiers « vaccinodromes » (on n'a
pas le droit d'employer le mot, il serait tabou, mais ce n'est pas franchement
écrit, donc pas punissable, c'est juste un peu mal élevé, il faut bien que je me
dévergonde).
Pour toute la région, il n'y avait qu'un centre, tu ne risques pas de te
tromper, un centre et un numéro de téléphone qui ne répond pas, ou qui
coupe tout de suite. Une fois que tu as compris ça, et après relecture de l'info
qui précise sur le site gouvernemental (donc sérieux) que c'est sans
réservation, tu te décides d'aller sur place, qu'est-ce que tu risques, à part un
ticket de métro et un refus pas forcément poli ? (en réalité deux tickets, un
pour l'aller, un autre pour le retour, je le dis juste pour la précision, pas pour la
mesquinerie). Là bas, c'est fléché dès la sortie du métro, mais il y a sur les
lieux au moins trois opérations de masse en même temps (Médecine du
Travail, dépistage Covid et vaccinations Covid), c'est dire que des flèches il y
en a beaucoup. Heureusement, apparemment, des organisateurs zélés ont
prévu de t'aider à lire les flèches (ce qui est au moins paradoxal, si on pense
à t'aider à lire les flèches c'est qu'on s'est aperçu que leurs indications sont
absconses, auquel cas, le mieux aurait été de les modifier d'emblée) : deux
petits jeunes bien aimables servent de guides et m'expliquent où je dois me
rendre, pas facile pour eux de m'orienter avec mes vieux repères (je ne suis
pas perdu, la première fois que je suis entré à l'hôpital Calmette, c'était en
1964, j'y suis ensuite allé quotidiennement jusqu'en 2014, en cinquante ans
la répartition des activités et services a beaucoup varié tout au long de la
période), on finit par se mettre d'accord et j'arrive enfin au centre de
vaccination (nostalgie, c'était à la place de ce qui était l'ancien centre
d'hémodialyse [c'est là que j'avais pris mon premier repas lors d'une garde du
dimanche, l'internat en cours de construction n'était pas encore aménagé
sérieusement]). Il y a de l'attente dehors, des pompiers en uniforme de
pompier (c'est à ça, intuitif en diable, que je les ai reconnus) qui attendent
leur tour sans encombrer le hall dont la jauge est limitée, qui avaient rendez-
vous et qui m'invitent à entrer pour régler mon problème. Là, tu as
l'impression d'une fourmilière, mais pas la fourmilière en effervescence
comme quand tu y a mis un coup de pied, non une fourmilière active,
efficace, mais sans agitation excessive, ça remue, ça bosse, ça s'active sans
traîner mais sans énervement, personne n'est sur les dents. La preuve, la
perturbation qu'a entraîné ma présence est vite gommée, assimilée, ingérée
par cette machine qui fonctionne en continu, sans heurts. Moi qui venais tout
à trac, aux renseignements, à l'improviste, je suis, au prix d'une attente
minime dont ils s'excusent, accepté et pris en charge administrativement
pratiquement dans la foulée, et avec le sourire. J'ai même une date prévue
pour l'injection de rappel.
Un tout petit quart d'heure plus tard, dans la salle d'examen où l'on m'a
introduit, on me remet deux feuilles (4 pages) d'informations qui t'expliquent
le vaccin et tout ce que tu risques (c'est un peu la même chose que pour tes
médicaments, si tu lis la notice avec tous les effets secondaires et/ou
indésirables, déjà tu prends les grelots avant d'ouvrir la boîte). Il y en a tout
une liste : ça va de très fréquent à rarissime en une énumération qui finirait
par faire peur, mais si tu regardes mieux, c'est à peu près comme pour le
vaccin anti-grippal, pas de quoi en faire tout un plat, mais bon, à une époque
où l'on intente des procès aussi facilement que je rigole, s'il t'arrive un truc, tu
ne pourras pas dire qu'on ne t'a pas prévenu. C'est simplement le parapluie
réglementaire habituel. Un truc m'inquiète un tantisoit peu : « A noter que la
fréquence des réactions systémiques est plus importante lors de
l'administration de la deuxième dose ». Ça promet !
Le médecin qui consulte est bienveillant mais impressionnant, c'est un
médecin pompier plein de galons, mon instruction militaire est ancienne, et
elle a été, il faut bien le dire, très sommaire (ils ne m'ont gardé que dix jours
au total, après d'abord, avant les études, un Conseil de Révision à poil
devant les élus locaux de mon village, puis plus tard un passage au Centre
de Sélection de Cambrai et à l'Hôpital Militaire de Lille avec son escalier
classé à double révolution, bien avant qu'il ne devienne annexe
administrative de la Préfecture, là où tu allais chercher ta carte grise,
maintenant ils te l'envoient par la poste) cinq galons dorés (j'ai vérifié depuis,
c'est bien ça), pas un lieutenant-colonel, un vrai colonel plein pot, tu
imagines, moi qui me mets au garde à vous devant un simple gardien de la
paix (mes parents, gens simples et sages, m'ont appris le respect de l'ordre
et de l'autorité, et m'ont donné le conseil avisé de « ne pas trop rigoler avec
les militaires, ce sont eux qui ont les fusils » disaient-ils), il a le bon goût de
penser que je vais pouvoir résister sans problèmes au geste vaccinal.
Quelques instants plus tard, la petite infirmière officie et me remet un
certificat dûment tamponné à conserver précieusement, et chronomètre
précisément le strict quart d'heure de surveillance préconisé par la
procédure, avant de me laisser repartir. Il ne s'est rien passé, je ne peux pas
dire que j'ai été déçu, mais quand même, si j'avais pu faire un petit malaise,
et qu'on s'occupe de moi, histoire de pouvoir faire mon intéressant, un petit
malaise seulement, je ne demandais pas un arrêt cardiaque, jamais je
n'aurais eu cette outrecuidance. Mais non, rien de rien. Au total, j'y aurai
passé un peu plus d'une heure tout compris, c'est dire si l'organisation est
rodée.
Je suis tout de même perplexe pour la suite des opérations : je risque
une réaction systémique plus fréquente (c'est écrit plus fréquent, pas plus
grave, la notion est subtile) que pour la première injection, c'est écrit sur le
prospectus, je crains le pire, plus fréquente que zéro, je ne sais pas combien
ça fait, c'est ça qui m'inquiète, et ce d'autant plus que réaction je sais à peu
près, mais systémique c'est l'inconnu (systématique j'aurais compris, c'est
pour tout le monde, mais là on n'aurait pas parlé de fréquence), cette
angoisse me ronge, et puisqu'on en parle, me tape comme par un fait exprès,
justement sur le système. Mais ce ne sera, au pire, qu'un mauvais moment à
passer, soyons courageux !
Au final, me voilà donc obligé de battre ma coulpe, de reconnaître que
j'ai eu tort (et ça me coûte beaucoup, tu connais quelqu'un qui aime avoir
tort ?), que la campagne vaccinale peut aller très vite, beaucoup plus vite que
je ne l'aurais pensé. Il y a déjà des centres de vaccination prévus ou
implantés un peu partout, et voulus « à taille humaine », il y aura
probablement des problèmes logistiques surtout liés à la chaîne du froid,
mais ce sera vraisemblablement une minorité de cas, et les couacs se feront
encore plus rares avec les vaccins plus faciles à conserver qui vont
commencer à être disponibles.
Si je me permets ici dans ces lignes de raconter ma vaccination, ce
n'est pas pour faire le kéké (je suis un peu extraverti mais pas à ce point là,
ou du moins n'en ai-je pas une conscience claire), pour narguer les non
encore vaccinés (il y a des gens qui adorent ça, savoir avant tout le monde, y
être allés avant tout le monde, propager une information vraie ou fausse
avant tout le monde, je suis beaucoup plus modeste [pour la modestie je ne
crains personne]), non, c'est pour exprimer ma surprise (heureuse) devant un
truc qui marche bien, qui augure bien de la campagne de vaccination qui se
met désormais rapidement en place (plus rapidement que je n'osais
l'espérer). J'ai habituellement la critique ricanante facile (et acerbe, quand j'y
arrive, l'acerbité ce n'est pas facile, il faut des années d'apprentissage), mais
quand c'est bien, il faut le dire aussi, il n'y a ces temps derniers pas vraiment
beaucoup de motifs de satisfaction. Autant se réjouir de ceux qu'on a à
connaître.
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