On a eu droit à une première, la vaccination de Mauricette en public et
en direct à la télé, ça n'a pas rameuté autant de monde que la traversée de
l'Atlantique par Lindbergh mais presque, c'était quand même une première
intéressante, avec tout le staff en grande tenue (il y a des EHPAD en tension,
celui-là n'en faisait pas partie faut croire, en fond sonore la sonnette d'un petit
vieux qui demandait le bassin, tant pis il n'avait qu'à attendre et à se retenir,
toute l'équipe est sur la photo, la télé, ce n'est pas tous les jours), c'est tout
juste s'il n'y avait pas le SAMU en coulisse, ils ont pris de gros risques,
imagine si elle avait fait le moindre début de commencement de malaise
devant nous, c'est toute la campagne vaccinale qui en prenait un coup,
torpillée sous la flottaison dès le lancement. Heureusement, elle a eu le bon
goût de dire que ça ne faisait pas mal (on ne sait toujours pas à l'heure
actuelle combien on lui a promis pour qu'elle le dise). Elle aurait pu, un peu
plus farceuse, faire une grosse grimace de douleur au moment fatidique de
l'injection, mauvais pour l'image, là encore ç'aurait été un coup très dur porté
à la pratique vaccinale, un sabotage en règle. Elle ne l'a pas fait.
Ça partait apparemment fort dès janvier, en réalité c'était moins
enthousiasmant que prévu, des esprits sagaces et chagrins mais un peu
doués pour les mathématiques ont calculé qu'au train où l'opération salvatrice
se développait, on n'en aurait pas fini avant la décade prochaine, d'autres
esprits moins calculateurs mais plus irritables s'en sont énervés. Un habile
changement de stratégie gouvernementale (mais je l'ai déjà signalé
précédemment) permet alors de distribuer vers les professionnels de santé et
apparentés les excès (tout relatifs et temporaires) de vaccins disponibles.
L'un dans l'autre, l'opération s'enclenche à une vitesse un peu supérieure, ce
n'était pas l'accélération du siècle, ça ne suffisait pas pour une mise en
orbite, mais ça allait plus vite indubitablement, il n'y en aurait plus que pour
deux ou trois ans au bas mot, quand tout à coup, au moment de vacciner les
vieux hors EHPAD, on s'aperçoit soudainement qu'il n'y a plus assez de
vaccins.Ne me demande pas pourquoi, je ne sais pas qui compte (en tout cas
pas les gens du fisc, mes impôts sont calculés correctement), j'aurais
tendance à penser qu'il y a quelque part des logisticiens trop bien payés.
Perplexité de nos autorités devant l'alternative : que fait-on ? Reculer la
seconde injection de ceux qui l'attendent, ou dénoncer les rendez-vous déjà
pris ? C'est cette dernière solution qui est retenue, ce n'est pas un sprint,
c'est un marathon, nous explique-t-on, ça sera fait pour la fin de l'année.
Moi, je me figurais que le problème de la production de vaccins en
masse était réglé, on avait bien parlé de tension, mais juste pour dire, des
histoires d'usine à réaménager, personne ne semblait s'affoler, il y avait bien
quelques couacs, mais c'était probablement une histoire de gros sous, une
affaire de marchands de tapis, rien de plus, rien que quelques tractations
discrètes et juteuses dans l'ombre des dessous de tables, on nous avait
promis la transparence la plus totale sur les vaccins, on se contenterait de
n'avoir que l'opalescence. Je ne sais pas si tu as remarqué, en conférence de
presse qui dit presque tout, si quelqu'un pose une question courte et précise
sur les stocks de vaccins, tu as droit en retour à une réponse longue,
alambiquée, à quelques pourcentages, à quelques approximations mais à
aucun chiffre sérieux. Observe bien la prochaine fois que ça se présente : on
te parle de commande européenne, de doses en option, de doses réparties
au pro rata, de doses prépayées, des doses commandées, des doses qui
vont être livrées, des doses en commande, des doses disponibles, des doses
réservées, des doses prévues, il n'y a pas longtemps, j'ai même noté (et
retenu, parce que c'est quand même particulier) le terme de doses
sécurisées, moi je n'ai pas tout compris, une dose sécurisée je ne sais pas
bien ce que c'est, mais bon, les journalistes questionneurs habituellement
agressifs non plus apparemment ne demandent pas plus de précisions, ils
sont comme moi, ils ont peur de passer pour des ignorants (du coup, je
risque peut-être de me retrouver vacciné avec une dose sécurisée, est-ce
plus efficace ?).
Là dessus, le Chef de l'État nous rassure de façon impromptue,
presque par surprise, il n'y a pas de couac dit-il, ou si peu que pas, tout sera
réglé pour la fin de l'été promet-il (ça nous met au solstice d'automne, pour le
tourisme de printemps et les vacances d'été, tu peux déjà faire une croix
dessus), on a des nouveaux vaccins qui arrivent, tu pourras les faire faire par
ton pharmacien, il peut les mettre dans son frigo, mais ce n'est pas pour les
vrais vieux, donc les vrais vieux, on va les garder pour plus tard, les priorités
ne sont plus des priorités, en tout cas elles ne sont plus prioritaires, dans les
préconisations d'indications , on est passés de « vieux vulnérables » à
« moins vieux à co-morbidité(s) » d'un seul coup d'un seul.
Et puis, ne nous embête plus avec cette histoire de vaccination, il n'y a
encore pas si longtemps, tu rechignais, tu ne voulais pas te faire vacciner, on
va attendre encore un peu que tu rechanges d'avis. De toute façon, ce qui
préoccupe désormais, ce sont les variants (autrefois on disait mutant,
aujourd'hui, c'est variant qui est à la mode, il faut t'y faire !). Les variants nous
inquiètent, tu parles, si la vaccination traîne un peu, elle devient inutile si les
mutants prédominent (ce qui est leur destin le plus probable, ça le fait bien
pour la grippe et tu te vaccines tous les ans). Du coup, le marathon risque de
redevenir un sprint : décidément, cette époque ne manque pas de piment. Il
va falloir accélérer, mais comme dit l'autre, tu ne peux accélérer que quand tu
en as sous le pied. Ici, c'est beaucoup plus ardu si tu n'a pas de vaccin,
sécurisé ou pas.
Et revoilà le Premier Ministre en majesté, avec une moitié du
gouvernement devant des pupitres tricolores, selon lui tout baigne dans
l'huile, question autosatisfaction c'est une bénédiction, un vrai bonheur, il est
tellement content de la situation que j'ai bien cru qu'il allait nous faire un
orgasme : c'est vrai, la situation est tendue mais sous contrôle, tellement on
est bons, nous, lui aussi (c'est lui qui le dit), les tests, on est les champions
d'Europe des tests, c'est nous qui en faisons le plus, c'est con, si on était
aussi bons pour les vaccins que pour les tests, ce serait parfait (là, c'est moi
qui le dis. Il y a des pays qui préfèrent acheter des vaccins plutôt que des
tests, on a fait le choix inverse, on va pouvoir suivre précisément l'évolution
de la pandémie et des différents variants), le credo reste tester, alerter,
protéger, d'autres préfèrent vacciner, vacciner, vacciner, nous on reste les
meilleurs pour les tests, on va même en faire profiter à la rentrée les petites
classes qui jusqu'à maintenant ne demandaient rien à personne, on est
même en train de faire la pige aux anglais en découvrant de nouveaux
variants encore inconnus. Pas la peine de s'énerver sur les vaccinations
donc. Il nous promet des créneaux de vaccinations, d'autres pays proposent
des vaccinations, lui il propose des créneaux : remarque, le créneau, c'est un
peu comme la vaccination, la différence avec la vaccination est subtile et
simple, pour le créneau un coup il y a du vaccin, un coup il n'y en a pas, ça
fait loterie en même temps, ou alors c'est comme chez ton poissonnier le
vendredi, c'est selon arrivage, tu ne gagnes pas à tous les coups
Les autres interventions sont moins percutantes, le télé-travail, il faut le
favoriser, l'invitation se fait insidieusement incitation et vire doucement à
l'injonction, rester à la maison, ça peut aider, le couvre-feu, il faut le
respecter, ça peut aider aussi, et puis des sanctions peuvent aider elles
aussi, scrongneugneu. Un petit point sur les vaccinations, un million et demi
de sujets vaccinés, tu es content, ça avance, tu l'es moins quand tu t'aperçois
que c'est le nombre de primo-injections, et que le nombre de sujets
effectivement correctement vaccinés n'atteint pas 200 000, ce qui est
beaucoup moins glorieux, et laisse des doutes sur les échéances promises
(200 000 dans le mois, ça fait combien de mois pour arriver à 40 millions
vaccinés souhaités (en gros, si on ne compte pas les plus jeunes) ?
Et puis le vaccin russe, le Spoutnik V, qui était soit-disant pas terrible
terrible, on en parlait seulement en fronçant le nez, le voilà qui est devenu
très bon désormais, on s'en est aperçu d'un seul coup, on ne va plus pouvoir
s'en passer, ça tombe rudement bien, justement, comme par un fait exprès,
on manque un peu de vaccins, paraîtrait même qu'une injection suffirait.
Quand même il faut un peu se méfier des effets secondaires, il se raconte
que des vaccinés se sont mis à chanter Kalinka, ce qui ne serait pas
franchement rédhibitoire (personnellement, je n'ai rien contre le folklore russe
ni les poupées gigognes), mais aussi, et là, ça interpelle plus rudement, se
sont mis à penser soviétique et à chanter l'Internationale !
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