Tu avoueras qu'il n'a pas quand même pas de pot, le gifleur : il vient le
long de l'itinéraire voir le Président qui va passer, il se trouve une bonne
place le long des barrières (pas sûr qu'on voie grand chose, c'est comme
pour le Tour de France cycliste, ça passe très vite, il n'y a que quand c'est un
« contre la montre » que tu as le temps de voir les coureurs un par un, sinon,
sur une étape normale en plaine, tu vois un peloton multicolore défiler groupé
en quelques secondes à quarante kilomètres à l'heure dans le chuintement
des pneumatiques sur le macadam et le cliquetis des chaines de vélo sur les
dents de pignons maltraitées, en laissant derrière lui un sillage de bidons
vides, heureusement qu'il y a la caravane pour te distraire pendant l'attente,
mais pour le Président rien, il n'y a pas de majorettes et tu risques de
t'ennuyer un peu), un endroit paisible car soigneusement contrôlé (papiers,
fouilles sommaires, forces de l'ordre multiples des deux côtés des barrières),
un endroit où il va pouvoir invectiver tranquillement l'Édile Suprême qui
passe, le huer à tue-tête, peut-être même le siffler, il vient pour ça, moi je
pense qu'il faut de la constance dans les convictions, pour attendre
longuement, patiemment, en s'attisant à bas bruit l'opposition personnelle (à
bas bruit, sinon tu penses bien que, si tu fais tâche dans la claque, le service
d'ordre nombreux et efficace te repère et t'évacue avant que tu aies proféré
tes méchancetés), un endroit comme il y en a tant sur le parcours prévu,
pourvu que le convoi à gyrophares bleus ralentisse un peu, qu'on ait le temps
de le voir passer. Et puis, là, tout à coup, le Haut Personnage qui préside à
nos destinées, comme pris d'une lubie, il n'y a pas d'autre mot, qui fait arrêter
le convoi, au grand émoi de son service d'ordre désemparé, et saute
rapidement de l'auto pour se payer un bain de foule impromptu autant que
spontané. Là, tu avoueras que c'est lui qui n'a pas de pot : sur des kilomètres
de barrière, il choisit justement cet endroit, il fonce en courant justement,
parmi les dizaines de spectateurs favorables (en tout cas qui n'ont, pour la
plupart, pas envie de gifler quiconque), qui n'ont qu'une envie c'est de voir le
Président en vrai, lui toucher la main, peut-être, comble du bonheur faire un
selfie avec lui (tout ça, ça fait un peu Ancien Régime, Vive le Roi, Vive
l'Empereur, sauf pour les selfies qui à l'époque n'avaient pas été inventés, les
français peuvent être paradoxaux, ils ont guillotiné leur roi, mais les traditions
républicaines instaurées retrouvent des comportements immémoriaux), il
fonce justement sur celui, peut-être le seul dans les parages, qui ne lui veut
pas de bien. Il faut bien avouer que sur ce coup-là, il n'a pas eu la main
heureuse, notre chef de l'État, à droite, à gauche, c'était plein de gens qui
étaient dans l'euphorie de voir approcher le Président, presque extatiques, il
a fallu qu'il tombe fortuitement, par surprise sur le seul pas franchement
raccord avec ses idées. Question baraka, ça laisse dubitatif. S'il veut cocher
une grille de loto, qu'il attende un autre jour !
Question professionnalisme et sang-froid, tu ne peux rien reprocher à
l'escorte, à la protection rapprochée. L'individu a été vite alpagué, ils ne l'ont
même pas molesté au passage. Je ne suis pas certain qu'au pays de l'Oncle
Sam, qui se targue d'être une grande démocratie, par exemple, avec ou sans
télévision témoin, le mec ne se serait pas retrouvé truffé de plomb d'un
calibre conséquent, ils ont la gachette facile là-bas. Quoi qu'il en soit, réaction
plus qu'honorable de l'offensé qui minimise, qui efface l'évènement, qui traite
par le mépris ce geste inconsidéré, le rétrogradant encore davantage dans sa
futilité dérisoire. Tout de même, pour le symbole, on ne peut pas en faire
autant. C'est grave, très grave, si on se réfère au passé, le crime de lèse-
majesté, ça se punissait sévèrement, par la mort certes, mais avec des
raffinements subtils et pernicieux, le condamné avait le temps de regretter
son geste (et la mort lui semblait lente à venir, revois les châtiments de
l'époque, ça ne rigolait pas, entre le plomb fondu, l'huile bouillante, le
dépeçage et les écartèlements, le temps s'écoulait lentement). On n'allait pas
aller jusque là (on n'est pas des sauvages dirait Popeck!), mais il fallait une
sanction au delà de la simple réprimande symbolique.
Question d'efficacité de la Justice aveugle et impartiale, ils ont fait fort.
Tu as eu droit, non pas à une justice expéditive, mais en tout cas à une
justice très vite expédiée. D'habitude, tu te convaincs de la nécessité d'une
sage lenteur (ou plutôt, tu t'en consoles, car elle est souvent très lente), tu
attends qu'il y ait un juge disponible, un greffier, une salle d'audience, une
inscription au rôle, il y a toujours un report à la demande de l'un, de l'autre,
une pièce qui manque, un rapport complémentaire à fournir ou à retrouver, un
motif de renvoi. En l'occurrence, il y avait apparemment tout sur place,
comme à disposition, un vrai coup de chance, tu as même l'impression que si
ça s'était passé un samedi, on n'aurait même pas attendu le lundi pour siéger
(encore mieux que les séances de vaccins). C'est de la comparution
immédiate extra, pur fruit pur sucre, comme on n'en fait pas, ou pas souvent.
Il faut dire que l' « accusé » (j'emploie mes vieux mots, maintenant on ne dit
plus comme ça, je pense qu'on doit dire « mis en examen » ou « mis en
cause », je n'en suis pas sûr) y a mis du sien, il a reconnu les faits (d'un autre
côté, il aurait vraiment eu mauvaise grâce à se comporter autrement, sans
évoquer les images qu'on peut toujours truquer, il y avait, à lui opposer,
beaucoup de témoins directs et relativement fiables). Mais je m'étonne que
l'avocat en charge n'ait pas demandé, comme il avait le droit de le faire, un
report obligatoirement accordé pour améliorer sa défense, je ne suis pas
assez au courant des subtilités de la procédure pour comprendre pourquoi il
ne l'a pas fait.
Comme au jeu du Monopoly : rendez-vous directement à la prison,
sans passer par la case Départ et donc sans toucher l'allocation au passage.
Ça va décidément très vite, pas le temps de repasser par chez toi pour un
pyjama et une brosse à dents. Les média bien informés ont presque été
débordés, on a quand même pu bénéficier de quelques informations
sommaires sur le personnage : dérisoire, c'est bien le mot qu'il faut en
retenir : 28 ans et deux ans d'activité professionnelle recensée (à 26 ans, à la
fin de la première partie de mes études, je n'avais pas encore commencé à
travailler, j'avais déjà plus de deux ans de petits boulots d'étudiant
officiellement enregistrés pour la retraite [je l'ai appris incidemment au
moment du récapitulatif pré-retraite], non pas que je veuille m'instaurer en
exemple, je ne suis pas seul dans ce cas, mais juste pour dire, j'ai
l'impression qu'il fait partie des gens qui ne se remuent pas trop le cul), sans
formation nettement identifiée, et subsistant avec le RSA. À 28 ans, sans
formation, sans boulot, il devrait au moins avoir une conscience politique
claire, on ne lui demande pas de réciter la Constitution ni de préciser le
fonctionnement des institutions, mais au moins de ne pas mordre la main qui
le nourrit. C'est infiniment triste et regrettable de ne pas avoir de formation
(pour quelle raison ?), de ne pas réussir à trouver de boulot (je suis conscient
que ça ne doit pas être toujours facile et je le déplore), de vivre du RSA qu'on
peut estimer insuffisant, mais on doit au moins avoir un peu de pudeur. Même
si la société ne lui a pas fait pas de cadeau (je ne connais pas son histoire),
elle le fait bouffer, pas beaucoup peut-être, pas du caviar certainement, mais
elle le fait bouffer. J'accepte même l'idée qu'il n'en ait pas de reconnaissance,
qu'il considère cela comme un dû, mais qu'il insulte à la dignité du chef de
l'état qui l'assiste est au moins paradoxal et provocant (mais sa conscience
politique est peut-être différente de la mienne, ce que je peux accepter aussi,
mais là je pense qu'il abuse un peu de ma tolérance).
Comment juger l'acte ? Comment punir adéquatement, je le répète, à la
fois cette insignifiance et ce sacrilège ? Comment faire payer sans avoir la
main trop lourde ni évacuer la gravité du geste ? Moi qui suis facilement
critique, je pense qu'ils ne s'en sont pas trop mal sortis : du symbolique et du
pratique, de la punition et de la rédemption. La Justice qu'on représente une
balance à la main et les yeux bandés, je pense qu'elle a réussi à faire un clin
d'oeil. Une sanction symbolique (perte des droits civiques pour trois ans,
interdiction à vie d'exercer une fonction publique), une autre un peu plus
réaliste (de la prison ferme histoire de montrer que ça ne rigole pas, mais pas
trop, qu'il n'ait pas le temps de s'aigrir ni de se radicaliser), et enfin, comble
de la cruauté sadique (la justice ne devrait pas être la vengeance, on
attendait un peu plus de mansuétude, sur ce coup-là, ils ont été sans pitié, on
atteint là des sommets d'inhumanité), injonction de suivre une formation et de
travailler. Tu te rends compte de l'atrocité ! Il va devoir suivre une formation, il
va devoir travailler, et peut-être même payer des impôts.
En tout cas, même si je ne suis pas toujours forcément d'accord avec
lui, je ne suis pas près d'envisager de gifler le Président, j'en suis fort
dissuadé au vu des condamnations qui risqueraient de m'être infligées. Tu te
rends compte, en cette aube d'une retraite bien méritée, m'obliger à
travailler ? Moi qui me suis économisé toute ma vie, j'en frémis rien que d'y
penser.
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