21 juin 2021

La Chronique de Charles : Gifle.

Sacrilège et insignifiance. Sacrilège, car porter la main sur le Président de la République doit être vécu comme une profanation insensée. C'est de l'ordre du symbole, c'est désacraliser (ou, du moins, tenter de le faire) la fonction présidentielle au travers de l'homme, c'est forcément un geste ambigu dont son auteur n'a pas envisagé toutes les implications. Sans condescendance mais en toute modestie, je doute personnellement qu'il ait approfondi le sujet, qu'il ait réfléchi aux retombées de son action (forcément irréfléchie), en tout cas apparemment très spontanée. Insignifiance, car en dehors du symbole, c'est une atteinte à la personne (certes insupportable dans les principes) minime en définitive, et dans nos temps de violence actuels, tellement habituelle qu'on ne se retourne plus là dessus, tellement banale somme toute qu'on pourrait presque se contenter d'un haussement d'épaules désabusé, voire méprisant. 
Tu avoueras qu'il n'a pas quand même pas de pot, le gifleur : il vient le long de l'itinéraire voir le Président qui va passer, il se trouve une bonne place le long des barrières (pas sûr qu'on voie grand chose, c'est comme pour le Tour de France cycliste, ça passe très vite, il n'y a que quand c'est un « contre la montre » que tu as le temps de voir les coureurs un par un, sinon, sur une étape normale en plaine, tu vois un peloton multicolore défiler groupé en quelques secondes à quarante kilomètres à l'heure dans le chuintement des pneumatiques sur le macadam et le cliquetis des chaines de vélo sur les dents de pignons maltraitées, en laissant derrière lui un sillage de bidons vides, heureusement qu'il y a la caravane pour te distraire pendant l'attente, mais pour le Président rien, il n'y a pas de majorettes et tu risques de t'ennuyer un peu), un endroit paisible car soigneusement contrôlé (papiers, fouilles sommaires, forces de l'ordre multiples des deux côtés des barrières), un endroit où il va pouvoir invectiver tranquillement l'Édile Suprême qui passe, le huer à tue-tête, peut-être même le siffler, il vient pour ça, moi je pense qu'il faut de la constance dans les convictions, pour attendre longuement, patiemment, en s'attisant à bas bruit l'opposition personnelle (à bas bruit, sinon tu penses bien que, si tu fais tâche dans la claque, le service d'ordre nombreux et efficace te repère et t'évacue avant que tu aies proféré tes méchancetés), un endroit comme il y en a tant sur le parcours prévu, pourvu que le convoi à gyrophares bleus ralentisse un peu, qu'on ait le temps de le voir passer. Et puis, là, tout à coup, le Haut Personnage qui préside à nos destinées, comme pris d'une lubie, il n'y a pas d'autre mot, qui fait arrêter le convoi, au grand émoi de son service d'ordre désemparé, et saute rapidement de l'auto pour se payer un bain de foule impromptu autant que spontané. Là, tu avoueras que c'est lui qui n'a pas de pot : sur des kilomètres de barrière, il choisit justement cet endroit, il fonce en courant justement, parmi les dizaines de spectateurs favorables (en tout cas qui n'ont, pour la plupart, pas envie de gifler quiconque), qui n'ont qu'une envie c'est de voir le Président en vrai, lui toucher la main, peut-être, comble du bonheur faire un selfie avec lui (tout ça, ça fait un peu Ancien Régime, Vive le Roi, Vive l'Empereur, sauf pour les selfies qui à l'époque n'avaient pas été inventés, les français peuvent être paradoxaux, ils ont guillotiné leur roi, mais les traditions républicaines instaurées retrouvent des comportements immémoriaux), il fonce justement sur celui, peut-être le seul dans les parages, qui ne lui veut pas de bien. Il faut bien avouer que sur ce coup-là, il n'a pas eu la main heureuse, notre chef de l'État, à droite, à gauche, c'était plein de gens qui étaient dans l'euphorie de voir approcher le Président, presque extatiques, il a fallu qu'il tombe fortuitement, par surprise sur le seul pas franchement raccord avec ses idées. Question baraka, ça laisse dubitatif. S'il veut cocher une grille de loto, qu'il attende un autre jour ! 
Question professionnalisme et sang-froid, tu ne peux rien reprocher à l'escorte, à la protection rapprochée. L'individu a été vite alpagué, ils ne l'ont même pas molesté au passage. Je ne suis pas certain qu'au pays de l'Oncle Sam, qui se targue d'être une grande démocratie, par exemple, avec ou sans télévision témoin, le mec ne se serait pas retrouvé truffé de plomb d'un calibre conséquent, ils ont la gachette facile là-bas. Quoi qu'il en soit, réaction plus qu'honorable de l'offensé qui minimise, qui efface l'évènement, qui traite par le mépris ce geste inconsidéré, le rétrogradant encore davantage dans sa futilité dérisoire. Tout de même, pour le symbole, on ne peut pas en faire autant. C'est grave, très grave, si on se réfère au passé, le crime de lèse- majesté, ça se punissait sévèrement, par la mort certes, mais avec des raffinements subtils et pernicieux, le condamné avait le temps de regretter son geste (et la mort lui semblait lente à venir, revois les châtiments de l'époque, ça ne rigolait pas, entre le plomb fondu, l'huile bouillante, le dépeçage et les écartèlements, le temps s'écoulait lentement). On n'allait pas aller jusque là (on n'est pas des sauvages dirait Popeck!), mais il fallait une sanction au delà de la simple réprimande symbolique. 
Question d'efficacité de la Justice aveugle et impartiale, ils ont fait fort. Tu as eu droit, non pas à une justice expéditive, mais en tout cas à une justice très vite expédiée. D'habitude, tu te convaincs de la nécessité d'une sage lenteur (ou plutôt, tu t'en consoles, car elle est souvent très lente), tu attends qu'il y ait un juge disponible, un greffier, une salle d'audience, une inscription au rôle, il y a toujours un report à la demande de l'un, de l'autre, une pièce qui manque, un rapport complémentaire à fournir ou à retrouver, un motif de renvoi. En l'occurrence, il y avait apparemment tout sur place, comme à disposition, un vrai coup de chance, tu as même l'impression que si ça s'était passé un samedi, on n'aurait même pas attendu le lundi pour siéger (encore mieux que les séances de vaccins). C'est de la comparution immédiate extra, pur fruit pur sucre, comme on n'en fait pas, ou pas souvent. Il faut dire que l' « accusé » (j'emploie mes vieux mots, maintenant on ne dit plus comme ça, je pense qu'on doit dire « mis en examen » ou « mis en cause », je n'en suis pas sûr) y a mis du sien, il a reconnu les faits (d'un autre côté, il aurait vraiment eu mauvaise grâce à se comporter autrement, sans évoquer les images qu'on peut toujours truquer, il y avait, à lui opposer, beaucoup de témoins directs et relativement fiables). Mais je m'étonne que l'avocat en charge n'ait pas demandé, comme il avait le droit de le faire, un report obligatoirement accordé pour améliorer sa défense, je ne suis pas assez au courant des subtilités de la procédure pour comprendre pourquoi il ne l'a pas fait. 
Comme au jeu du Monopoly : rendez-vous directement à la prison, sans passer par la case Départ et donc sans toucher l'allocation au passage. Ça va décidément très vite, pas le temps de repasser par chez toi pour un pyjama et une brosse à dents. Les média bien informés ont presque été débordés, on a quand même pu bénéficier de quelques informations sommaires sur le personnage : dérisoire, c'est bien le mot qu'il faut en retenir : 28 ans et deux ans d'activité professionnelle recensée (à 26 ans, à la fin de la première partie de mes études, je n'avais pas encore commencé à travailler, j'avais déjà plus de deux ans de petits boulots d'étudiant officiellement enregistrés pour la retraite [je l'ai appris incidemment au moment du récapitulatif pré-retraite], non pas que je veuille m'instaurer en exemple, je ne suis pas seul dans ce cas, mais juste pour dire, j'ai l'impression qu'il fait partie des gens qui ne se remuent pas trop le cul), sans formation nettement identifiée, et subsistant avec le RSA. À 28 ans, sans formation, sans boulot, il devrait au moins avoir une conscience politique claire, on ne lui demande pas de réciter la Constitution ni de préciser le fonctionnement des institutions, mais au moins de ne pas mordre la main qui le nourrit. C'est infiniment triste et regrettable de ne pas avoir de formation (pour quelle raison ?), de ne pas réussir à trouver de boulot (je suis conscient que ça ne doit pas être toujours facile et je le déplore), de vivre du RSA qu'on peut estimer insuffisant, mais on doit au moins avoir un peu de pudeur. Même si la société ne lui a pas fait pas de cadeau (je ne connais pas son histoire), elle le fait bouffer, pas beaucoup peut-être, pas du caviar certainement, mais elle le fait bouffer. J'accepte même l'idée qu'il n'en ait pas de reconnaissance, qu'il considère cela comme un dû, mais qu'il insulte à la dignité du chef de l'état qui l'assiste est au moins paradoxal et provocant (mais sa conscience politique est peut-être différente de la mienne, ce que je peux accepter aussi, mais là je pense qu'il abuse un peu de ma tolérance). 
Comment juger l'acte ? Comment punir adéquatement, je le répète, à la fois cette insignifiance et ce sacrilège ? Comment faire payer sans avoir la main trop lourde ni évacuer la gravité du geste ? Moi qui suis facilement critique, je pense qu'ils ne s'en sont pas trop mal sortis : du symbolique et du pratique, de la punition et de la rédemption. La Justice qu'on représente une balance à la main et les yeux bandés, je pense qu'elle a réussi à faire un clin d'oeil. Une sanction symbolique (perte des droits civiques pour trois ans, interdiction à vie d'exercer une fonction publique), une autre un peu plus réaliste (de la prison ferme histoire de montrer que ça ne rigole pas, mais pas trop, qu'il n'ait pas le temps de s'aigrir ni de se radicaliser), et enfin, comble de la cruauté sadique (la justice ne devrait pas être la vengeance, on attendait un peu plus de mansuétude, sur ce coup-là, ils ont été sans pitié, on atteint là des sommets d'inhumanité), injonction de suivre une formation et de travailler. Tu te rends compte de l'atrocité ! Il va devoir suivre une formation, il va devoir travailler, et peut-être même payer des impôts.
En tout cas, même si je ne suis pas toujours forcément d'accord avec lui, je ne suis pas près d'envisager de gifler le Président, j'en suis fort dissuadé au vu des condamnations qui risqueraient de m'être infligées. Tu te rends compte, en cette aube d'une retraite bien méritée, m'obliger à travailler ? Moi qui me suis économisé toute ma vie, j'en frémis rien que d'y penser.

Aucun commentaire: