14 juin 2021

La Chronique de Charles : Violences faites aux femmes.

Je suis un affreux macho. C'est Brigitte, ma compagne du moment, qui le proclame avec assurance, outrecuidance même, et une nuance de réprobation. Je ne suis pas certain qu'elle ait entièrement raison, mais il y a peut-être un fond de vérité dans cette assertion péremptoire que je répugne à confirmer. J'ai peut-être des excuses, j'ai été élevé comme ça par une mère aimante et donc peut-être trop permissive, encore merci Maman (en réalité, c'est carrément inexcusable, mais changer de comportement, de façon d'être aujourdhui me paraît inopportun au regard de l'enjeu, ce serait perturber gravement ce qui est devenu depuis mon âge tendre, et au fil du temps par la suite, ma nature profonde, le pli est pris, et bien pris, pour le corriger aujourd'hui, tu repasseras ! [le jeu de mot avec le pli et le repassage, tu l'as noté ?]). 
De fait, sans vouloir livrer impudiquement en pâture les conclusions que je tire de cette introspection quelque peu sommaire, j'admets que je suis probablement paresseux plus que macho : toute ma vie durant, par méconnaissance assumée des arts ménagers, j'ai ignoré où était, à la maison, le lave-vaisselle, ce n'est qu'en fin de parcours, qu'en dernière étape de mon séjour terrestre (rien que ce segment de phrase pourrait laisser à penser qu'il y a quelque chose après, ce que je ne peux garantir en aucun cas), en fin de vie (c'est sinistre dit comme ça, mais il faut bien admettre que la lecture du journal de Tintin m'est désormais interdite, je suis exclus, atteint par la limite d'âge, de la liste des abonnés), que j'ai appris à le vider, et encore, la phase d'apprentissage n'est pas franchement terminée, et pourtant je m'applique avec zèle sous le regard encourageant, stimulant et aussi un peu noir de Brigitte. Paresseux certainement, macho peut-être un peu quand même, mais décidément pas au point d'en tirer vanité, de le revendiquer. Bref, je suis plutôt du genre macho pas fier de l'être, pas franchement honteux non plus. À mon grand regret, je ne déteste pas non plus les lourdingues plaisanteries de beauf genre «Bats ta femme tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, ce n'est pas grave, elle, elle le sait», ou cette autre tout aussi abominable « Pour un homme, ce n'est vraiment pas bien de battre sa femme, mais il y en a quand même quelques unes qui le méritent ». Rassure-toi, je ne suis pas tout à fait comme ça, c'est du second degré, je te le jure, mais j'en ai assez d'être taxé de machisme au prétexte que je suis seulement paresseux (et aussi malheureusement allergique à l'électro- ménager), par des gens qui le sont incontestablement sans même s'en rendre compte, insidieusement, et qui jouent les âmes nobles en toute sincérité, mais sans lucidité, sans véritable autocritique. Je te l'explique plus loin (plus bas, plus tard, ci-dessous, infra, pas tout de suite, après, ne m'interromps pas tout le temps, tu me fais perdre le fil !). 
J'apprends qu'un brutal, coutumier de violences conjugales fusille, à l'occasion d'une dispute, sa femme dans la rue (et qu'il la rate, par chance si l'on peut dire) avant de retourner l'arme contre lui sans se réussir proprement d'ailleurs. J'apprends qu'un autre habitué aux scènes violentes défenestre la sienne du 8ème étage (comme si l'étage avait de l'importance ! Est-ce que ce serait moins grave si c'était le 7ème ? Et à partir de quel étage ce n'est plus permis ?) et que, comble du comble, il lance des canettes en direction de sa dépouille. 
Au delà du fait divers (déjà ce terme de fait divers banalise trop, tu peux ajouter sordide, tragique, effroyable, rien n'y fait, ça reste un fait divers, minimisé et relégué dans les dernière pages de ton quotidien, dans le dernier cité on dirait presque que le plus grave est d'avoir gâché des canettes ou d'avoir encombré le trottoir avec des tessons de verre dangereux), on peut se poser la question : Combien de féminicides par an, et depuis combien de temps. Y en a-t-il plus en ce moment, ou en parle-t-on davantage ? Les chiffres sont effarants, il est également effarant que ça ne nous préoccupe (et encore trop mollement) que depuis quelques années, c'est tellement habituel que ça nous paraît normal, inéluctable, comme une fatalité contre laquelle il n'y aurait rien à faire. Tout se passe comme si tuer quelqu'un était indubitablement considéré comme grave, mais que tuer sa femme était somme toute un peu moins grave, il y aurait comme des circonstances atténuantes, ça minimiserait la part de responsabilités. L'état d'esprit collectif vis à vis du féminicide rejoint un peu celui qui se dessine encore à propos du viol, c'est un peu la même attitude intellectuelle facile, pour beaucoup, la femme violée l'a un peu cherché (les explications simplistes ne manquent pas : tenue ou attitude soit-disant provocante, aguichante, il y a des endroits où il ne faut pas aller et des heures à éviter, bref, en résumé, pour le dire crûment, la victime est un peu coupable, dit comme ça c'est cruel, mais c'est bien ce qui ressort à l'analyse de la plupart des commentaires, même les mieux pensants. Cette posture est malheureusement fréquente, je ne sais pas depuis quand nous l'avons construite, je ne sais pas comment la société nous l'a inculquée, je ne sais pas quelle culture l'a enracinée dans notre subconscient, mais je sais qu'elle est profondément ancrée, et que les campagnes féministes actuelles ont encore beaucoup de pain sur la planche pour faire évoluer les mentalités. 
Je ne m'explique pas autrement notre comportement (quand j'écris notre, c'est pour me solidariser, pour prendre ma part de cette responsabilité collective) vis à vis des femmes victimes qui réussissent à faire la démarche de se plaindre officiellement et qui sont en définitive négligées (pas prises au sérieux, « classées sans suite », en tout cas pas accompagnées efficacement). Il y a tant de bonnes raisons de balayer la poussière sous le tapis. Et puis, ça ne ressort que de la sphère familiale, on ne voudrait pas être trop intrusif... 
Chez nous, en France (en pays relativement civilisé donc, avec un niveau de culture élevé, des relations sociales relativement raffinées), le statut de la femme s'améliore peu à peu, même s'il y a encore beaucoup à faire. L'égalité homme-femme n'est que toute récente (le droit de vote des femmes, par exemple, ne date en France que de la fin de la dernière guerre), le droit des femmes à disposer librement de leur corps est encore plus récent. Sa conquête a déclenché des débats houleux encore frais dans nos mémoires. Il n'y a pas encore si longtemps la protection sociale de l'épouse dépendait du travail du mari, chef de famille sur le modèle du pater familias romain (je schématise un peu, mais à peine). Pas si longtemps non plus que le viol existe entre époux, la juriprudence n'en évolue que très lentement (il faut dire que c'est un peu compliqué, elle marche sur des oeufs). 
La parité à tous niveaux, pourtant décrétée, n'est pas encore une réalité parfaitement acquise, on en entend encore parfois parler avec des ricanements, et dans tous les milieux. Et je ne voudrais pas insister sur les patentes et honteuses différences salariales homme-femme qui existent encore, souvent argumentées encore aujourd'hui par des explications nombreuses autant que vaseuses. C'est dans ce cadre là que tu trouveras des machos inavoués et discrets aux manières feutrées bien plus dangereux que moi avec mon machisme surfait (surjoué ?). 
Nos habitudes sont vieilles, elles seront encore longues à réformer. Fais l'expérience ! Au bord d'un trottoir (ça marche aussi au bord d'une route, ou d'une autoroute, le résultat est le même, mais c'est plus dangereux), compte, dans les autos qui passent et qui véhiculent deux personnes de sexe différent combien de fois c'est l'homme qui conduit, tu vas être surpris et tu me reparleras d'égalité homme-femme avec moins d'aplomb, moins de certitudes. Même chose pour les couples qui ont l'avantage de disposer de deux voitures, qui se sert le plus souvent de la plus grosse ? Après, tu peux toujours mégoter sur celle qui est la plus facile à garer en ville, ou celle qui fait les petits trajets. N'empêche, de relever ces entorses à la parité, à l'égalité, ça me rassure, je ne suis pas plus macho qu'un autre dans mes comportements de tous les jours. 
En attendant, je trouve que ça n'avance pas vite pour les victimes. Pour l'instant, on fait beaucoup de constats, on constate à chaque incidence que le système a foiré, la coordination est insuffisante entre services en charge, les bracelets des uns, les boîtiers d'appel d'urgence des autres, il y en a peu, peu utilisés par surcroît, avec des défaillances techniques auxquelles on ne pense que trop lentement à remédier. A une époque où on arrive à faire voler et à guider un drone sur Mars, à une époque où on envoie un missile téléguidé sur une cible identifiée à l'autre bout du monde (l'Afghanistan ce n'est pas forcément l'autre bout du monde, mais c'est déjà très loin, c'est juste pour dire, je ne voudrais surtout pas énerver un afghan ombrageux) à partir d'un bureau américain (c'est de la guerre en télétravail en quelque sorte, je cite les américains, mais les russes et les chinois le font aussi, plus discrètement en tout cas), à une époque où Google et ton téléphone se rappellent mieux que toi où tu étais le le 31 juin de l'année passée, ou de celle d'avant, on n'est toujours pas foutus de régler techniquement ce petit problème d'interdiction de rapprochement du conjoint violent. 
J'ai eu, par le passé, un chien, un braque un peu braque (forcément), pour l'éduquer et réfréner ses enthousiasmes, j'ai dû l'équiper d'un de ces colliers qui délivrent une (petite) secousse électrique désagréable (je le sais, j'ai essayé sur moi avant de le faire subir à mon chien) à la demande. Braque, mais pas bête, il ne lui a guère fallu longtemps pour comprendre où étaient les interdits. Le collier a très peu servi. Je préconiserais volontiers qu'on équipe les conjoints violents d'un bracelet de ce genre et qu'on fournisse un boîtier de commande à la victime à protéger. Je suis certain qu'on arriverait ainsi à éviter, et pour pas trop cher, la plupart des rapprochements inopportuns, au prix de quelques châtaignes correctement dosées et administrées. La courbe d'évolution d'incidence des féminicides ne s'en porterait probablement que mieux.

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