02 novembre 2020

La chronique de Charles : Apocalypse now ?

C'est la fin du monde ! C'est ce que l'on comprend généralement quand on parle d'apocalypse. Renseignements pris, il paraît que non : apparemment ce serait un texte d'un Jean, qui ne serait peut-être pas le presbytre (pas le presbyte, à l'époque on ne connaissait pas bien les troubles de l'accommodation), on en discute encore, et qui parlerait de révélation. On est un peu loin de la fin du monde, je ne comprends pas tout à la littérature ésotérique, mais je suis loin d'être le seul. En tout cas, en première approximation, et même en cherchant bien, aucun éclaircissement ne me viendra de ce dernier livre du Nouveau Testament. J'essaierai de m'en consoler. 
C'est la fin du monde. Il y a eu un avant, il y aura un après. Certains le clament bien fort, depuis un petit moment déjà, mais c'est du journalisme enthousiaste, ou de la politique matoise, ou un peu des deux, en tout cas, schématiquement, et pour parler crûment, c'est de la bouillie pour les chats. C'est la fin du monde, on va tous mourir, surtout les vieux à ce qu'il paraît, mais si on y réfléchit un peu, ça se passe comme ça depuis belle lurette, bien avant qu'il y ait des épidémies, on n'en fait pas toute une histoire, c'est dans l'ordre des choses. On naît, on grandit, on mûrit, on devient adulte (pas tous, j'en connais au moins un qui est resté au stade soixante huitard attardé), on vieillit doucement, on s'éteint, entouré de l'affection des siens. Ça, c'est la procédure standard, le schéma traditionnel, mais rassure-toi, il y a beaucoup de variantes, des plus paisibles aux plus horribles, il y en a même de drôles (il vaut mieux dire anecdotiques plutôt que drôles, qui n'est le mot qu'on attend le plus quand on parle de la mort). En tout cas, personnellement, je ne suis pas vraiment pressé de mourir, j'ai trop de choses en projet, je n'ai pas le temps. 
C'est la fin du monde, pour demain c'est sûr, pour après demain au plus tard. On dirait un (mauvais) film catastrophe de mauvaise qualité dans lequel une météorite va venir frapper la terre. On en profite au passage pour te refaire le coup de la fin des grands dinosaures avec une précédente météorite, un peu de culture, ça ne peut pas faire de mal, et puis, il faut meubler le scénario, sinon il n'y a que la scène finale qui vaille, avec ses effets grandioses et spectaculaires. Tu vois les héros (Tarzan, Superman, Mickey Mouse, James Bond, au choix, ça dépend du budget disponible pour les costumes et les effets spéciaux) se décarcasser pour trouver des solutions, dévier la trajectoire de cette menace, refaire les calculs, utiliser la puissance nucléaire des uns et/ou des autres, invoquer des extra-terrestres, fuir vers d'autres planètes avant le feu d'artifice final en apothéose. 
C'est la fin du monde. La sphère médiatique y trouve à loisir du blé à moudre pour ses interviews, débats et autres tables rondes, pourvu qu'elle n'arrive pas trop vite (la fin du monde, pas la sphère médiatique !), les experts, spécialistes et autres sachants (je ne sais pas si le mot est approprié, mais je me comprends, c'est déjà ça) ou prétendus tels invités, seraient déçus de ne pas passer devant les caméras, avec ou sans masque, selon qu'ils sont craintifs, propagandistes ou pédagogues (la période est très favorable aux donneurs de leçons). Ce serait dommage, on risquerait d'en manquer quelques uns qui en définitive, ne font que du bruit avec la bouche sans nous apprendre rien de signifiant, et qui surfent à plaisir sur nos angoisses, innocemment parfois, sciemment souvent. 
C'est la fin du monde. On voit nos dirigeants se réunir en cellules de crise, en conseil de défense, en comités interministériels, en assemblée d'urgence, décréter à qui mieux mieux, prolonger un état de faillite sanitaire, modifier l'amplitude d'un couvre-feu, déclencher des mesures d'isolement, de confinement, actuelles ou à venir, pourquoi pas reporter Noël à Pâques (déjà, le calcul de la date de Pâques est un pur moment jubilatoire, moi qui ricanais par le passé quand mes amis musulmans [musulmans, mais gentils quand même] se disputaient, entre eux, pour fixer le calendrier du ramadan, je baisse modestement les yeux), pour nous l'épargner (la fin du monde), pour la contourner, on y voit aussi leurs opposants à l'affût des éventuelles maladresses (il y en a peut-être eu, il y en a peut-être encore, si on survit, si on en réchappe, et il y a toutes les raisons de penser qu'il en sera ainsi, il sera toujours temps d'en reparler : au foot, au bridge, aux échecs, c'est comme au Kriegspiel, tu peux toujours rejouer la partie, mais là, c'est sérieux, on est « en direct », on paie cash). 
C'est la fin du monde. Il y en a qui font leur beurre avec ça, ils adorent, le catastrophisme est un vrai métier, ils aiment à appuyer sur la chanterelle, pour peu qu'ils aient un bon public, un peu porté au pessimisme, réceptif et craintif, prêt à entendre les bonnes nouvelles, mais surtout à gober les mauvaises. Les hôpitaux crient au secours, certains même avant d'avoir mal, ils parlent de refaire du camping avec l'aide des militaires. L'enthousiasme de la première vague a un peu tiédi, les personnels de santé, qui étaient allés au front la fleur au fusil et dans leurs sacs poubelles, accompagnés des hourras et du tintamarre des casseroles retournent en première ligne, mais en traînant les pieds, le moral n'est plus ce qu'il était, m'est avis qu'il va falloir redistribuer les bidons de gnôle. 
Bref, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'ambiance est morose, et j'en ai un peu marre ! L'époque est difficile, mais, comme on nous l'explique savamment, il faut changer de paradigme, au moins remettre les choses en perspective, ça ne consolera pas les grands perdants de cette catastrophe, mais relativiser peut nous aider à accepter. La peste noire au XIVème siècle a tué 25 millions d'européens (estimation 30 à 50 % de la population de cette époque). Pour la France, c'est 7 millions de morts sur 17 millions (à la louche 38 %). Là, on est dans des chiffres qui font peur. Pour la grippe dite espagnole, c'est (un peu) moins sinistre, ce sont quand même environ 250000 morts estimés pour la France, 4 millions pour l'Europe. Les taux de mortalité sont ainsi évalués grossièrement entre 0,5 et 5 %. La grippe hivernale, notre « bonne vieille » grippe habituellement entraîne une surmortalité de 12 à 13000 morts. La Covid19 est à créditer actuellement pour la France d'environ 30000 décès, mais il y aurait beaucoup à dire sur ces chiffres, non pas pour les mettre en doute, mais pour préciser et affiner les critères retenus (ce qui n'est pas simple). Je ne veux pas minimiser, lénifier, il y a là largement de quoi se faire peur, mais les 12000 morts de la grippe saisonnière n'ont jamais préoccupé sérieusement la plupart d'entre nous (même la grippe espagnole n'a pas laissé de trace dans la mémoire collective, ou si peu que pas). Je ne dis pas que je n'ai pas peur, ce ne serait pas vrai,la situation est grave, mais ce qui m'exaspère en ce moment, c'est la surenchère forcenée excessive, dithyrambique, où se complaisent nos moyens d'information, c'est à qui va nous apprendre la plus triste nouvelle. Si je n'étais pas aussi sourcilleux de la liberté de la presse et des moyens d'information, j'en arriverais, si je ne me retenais pas, à souhaiter une forme de censure, c'est dire mon exaspération. 
C'est la fin du monde. Et puis non, rayon de soleil dans un ciel assombri, ce n'est plus la fin du monde. Comme prévu, le Président a parlé (il a bien parlé, comme d'habitude, ça, il sait faire, il faut lui rendre cette justice), nous voilà confinés à nouveau, pour éviter 400000 morts (c'est le Président qui l'a dit, donc ça doit être vrai), c'est quand même moins grave que la fin du monde, un confinement un peu moins strict que le premier, light, mais sérieux quand même, tous confinés, sauf les enfants des écoles et ceux qui travaillent (comme les livreurs à la banque du sperme qui ne peuvent pas télé-travailler), bref, on va confiner les étudiants, ceux qui font la fête et qui rigolent dans les bars, et les vieux qui sont fragiles et qui se sont déjà « auto- confinés » en sortant à peine depuis la fin du premier confinement. Sauf aussi pour les retours de vacances, qu'on a laissé (voire encouragé à) prendre. Le Premier Ministre en a remis une couche, alors que la première n'était pas encore sèche (il n'a pas osé venir tout seul, ils s'y sont tous mis), pour nous expliquer qu'il n'y a pas d'autre solution, qu'ils font au mieux en attendant que ça passe. Il faut dire qu'il n'a pas de chance. Déjà, le déconfinement c'était lui, je ne suis pas sûr que ça soit lui soit imputé comme une réussite, pour le reconfinement, j'attends de voir, je réserve mon opinion, je suis perplexe, je sais qu'il est très difficile de gouverner. Si la situation ne s'améliore pas, il va faire un fusible d'excellente qualité. 
Et depuis, ce n'est pas vraiment la fin du monde, mais quand même un peu le Chaos. Il y en a pour renâcler, pour regimber, pour protester, pour crier à l'injustice, c'est vrai qu'il y a des couacs, des disparités, des inégalités de traitement flagrantes. C'était apparu lors du premier épisode, personne n'avait trop rien dit, ou alors à voix basse, mais pour le deuxième (je n'ai pas dit second, as-tu remarqué?), ça grommelle un peu plus dans les rangs, entre les libraires, les marchands de jouets, ça réveille la guerre toujours présente entre petits détaillants et grandes surfaces. Moi, ce qui m'étonne un peu, c'est qu'il n'ait pas été tenu compte de cet état de fait, on s'en était bien rendu compte, je l'espère, on aurait pu affiner un peu les consignes. C'est comme si c'était vraiment une surprise, c'est comme si rien n'avait était fait, aucune leçon n'avait été tirée (on peut quand même aller voir un peu nos vieux dans les EHPAD). Même la nouvelle attestation de déplacement dérogatoire n'était pas prête pour le lendemain, il a fallu attendre la nuit (elle tombe rapidement en cette saison) pour qu'elle soit disponible. Il y en a bien quelques uns qui sont sortis en toute illégalité sans papier ce matin-là, et peu pour leur jeter la pierre. 
Avec tous ceux qui récriminent en ce moment, manquerait plus qu'on ait une résurgence des gilets jaunes !

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