La dernière fois, il n'y a pas si longtemps, c'était nouveau, on nous l'a joué grandiose : le grand branle-bas, tout le monde aux postes de combat, les nouvelles officielles du front tous les jours hospitalisations, réanimations, décès, pas les courbes (on n'avait pas le temps de les faire, ou on ne savait pas, ou on n'y avait pas pensé, ou on ne maîtrisait pas bien leurs couleurs), c'était le grand jeu, la parade avec toute la troupe, les majorettes devant la fanfare avec ses cuivres et la grosse caisse, les clowns jongleurs, puis les fauves en cage, les chevaux empanachés comme pour tirer un corbillard, enfin les éléphants en théorie qui se tiennent la queue avec la trompe
(qui tiennent la queue du précédent avec leur trompe pour être plus précis, si vous avez déjà vu une parade de cirque à l'ancienne, vous aviez compris, mais la précision ne nuit pas, un éléphant qui se tiendrait la queue avec la trompe serait ridicule, et souple en même temps). On a tout eu, les trains qui partaient dans toutes les directions (le comateux de Strasbourg qui se réveillait à Bordeaux devait penser au réveil qu'il délirait en reconnaissant l'accent du sud-ouest, sans compter que la famille qui voulait lui apporter des bonbons ou des chocolats avait un bout de chemin à faire), les avions, les hélicos, les bateaux (le porte-avions aussi a été impliqué, mais là ils ne l'ont pas fait exprès, ce n'était pas franchement prévu), l'hôpital de campagne tellement sophistiqué qu'il faut au moins huit jours pour le monter, même avec des militaires disciplinés, tu as le temps d'être malade en attendant, fait en parpaings ça n'aurait pas pris plus de temps. On n'avait que ça à regarder, vu qu'on était coincés à la maison, pas le droit de sortir, tout juste le droit de respirer en retenant son souffle. Tout un pays en stand-by, en train de se fabriquer des ersatz de masques (il n'y a pas de faute, on ne met de « s » à ersatz, ou alors seulement pour se faire remarquer), et à se demander quand et si on va mourir.
Cette fois-ci, on a (un peu) moins peur. Le virus circule toujours aussi vite, mais nous, cette fois ci, on peut bouger (l'esquiver ?), on n'est pas confinés. Je ne suis pas sûr que ça (le rebond, la deuxième vague, tu l'appelles comme tu veux, ça ne change rien au phénomène) soit beaucoup mieux géré que la première fois, mais bon, on a des masques, il ne peut donc plus rien nous arriver. Et puis tu peux toujours te faire tester, avec un peu de patience, ça va te prendre un petit moment quand je vois les files, ça t'occupera. C'est gratuit, aux frais de la princesse comme on dit, pas besoin même d'ordonnance, pourquoi devrait-on s'en priver, on a même la bénédiction de l'OMS sur ce coup-là, je ne comprends pas toujours le bien-fondé de ses avis, mais j'ai toujours été un peu limité (mais, ayant beaucoup d'indulgence envers moi-même, je m'habitue à mes insuffisances, ça m'aide à vivre). On trouve dans les récits moyenâgeux des descriptions de jours de fête et de liesse où le vin (ou la bière selon la culture) coule à flots et ad libitum des fontaines publiques, les queues devant elles devaient être un peu plus joyeuses que de nos jours devant les laboratoires de biologie. On a moins peur, on n'aura qu'un communiqué officiel hebdomadaire, déjà la preuve que c'est moins grave qu'à l'époque où c'était journalier.
Mais je ne suis pas inquiet, nos dirigeants ont su gérer les masques (ou ils nous ont appris comment s'en passer), ils ont su gérer les lits à ce qu'il paraît (à ce qu'ils disent, ils auraient pour ainsi dire multiplié les pains [ça nous a à peine surpris, ça s'est déjà fait dans le passé]), pour les tests, plus de problème, il y en a assez, les préleveurs sont suffisamment nombreux, mais, gag, ce sont les machines qui ne tournent plus assez vite (je me suis laissé dire qu'on manquerait un peu de réactifs, mais c'est certainement une médisance). Je suis certain qu'ils sauront gérer les priorités (il y faudra peut- être quelques gorilles chevronnés, voire des tontons macoutes) et trier les demandeurs (bon courage ! Personnellement, je ne saurais pas le faire).
On reste quand même dans l'incertitude, en fonction de nos connaissances sur le virus qui s'affinent de jour en jour : hier encore, un seul écolier déclaré positif pouvait arriver, selon le protocole, à faire fermer une école complète, et se payer quinze jours de pseudo-vacances (cours connectés vidéo-conférence télé-enseignement), désormais ses copains autrefois reconnaissants et rigolards iront quand même en cours, et lui ne bénéficiera plus que d'une semaine de ce régime. A dégoûter d'être positif ! Saloperie de virus !
On n'oblige pas les vieux à rester confinés (pour leur bien), ce n'est pas l'envie qui leur manque, à nos dirigeants (ils le font au cas par cas pour ceux qu'ils ont sous la main dans les Ehpad), mais ils y pensent fortement. On explique longuement (les statistiques sont impitoyables) à des jeunes insouciants (que ne le suis-je plus ! Il y a déjà un moment que ça ne m'est pas arrivé d'être jeune et insouciant : insouciant, je peux encore, en m'appliquant, l'être, quoique difficilement, question de souplesse de caractère, mais jeune, je n'essaie même plus) qu'ils risquent de contaminer leurs aînés, qu'ils doivent respecter les gestes barrières, c'est forcément peine perdue, on ne peut pas réussir à réprimer l'exubérance juvénile au sortir d'une telle période d'ascèse anxieuse, ce n'est pas à coups d'ukases fermant les bars à 2 heures du matin et interdisant la musique et la consommation d'alcool sur la voie publique qu'on réglera le problème, il y a comme de la sédition dans l'air, on ne va quand même pas envoyer la troupe, ce n'est plus de mise. Vitupérer sur les excès d'une jeunesse qui serait responsable de tout, la pointer maladroitement du doigt ne résoudra rien : il n'y a pas que des jeunes dans les hordes qui défilent les soirs de grand match (gagné ou perdu, qu'importe), et dans les regroupements de noces et anniversaires.
Et puis les gestes barrières salvateurs qui devraient nous protéger de tout, sont-ils correctement appliqués par les plus âgés, les plus responsables ? Loin de moi l'idée d'être irrévérencieux, mais l'exemple vient d'en haut. J'ai vu un chef d'État, et non des moindres, tousser publiquement dans sa main au lieu d'utiliser son coude (j'aurais fait pareil je l'avoue, vieux réflexe d'une éducation surannée probablement, d'une époque où les microbes ne sautaient pas plus loin que le poignet, maintenant le dernier en date est apparemment plus sportif, ou alors il est dopé, va savoir), j'ai appris qu'un Ministre s'était avoué positif, logiquement ça n'aurait pas dû lui arriver, à ce qu'il me semble, ce n'est quand même pas un perdreau de l'année, ce n'est pas un jeune fêtard irresponsable... Ou alors on ne m'a pas tout dit.
Je ne suis pas inquiet, mais ça n'empêche pas la prudence : en ce moment, pour assurer ma survie, je fais du transfert de technologie amélioré : le gel hydro-alcoolique en friction sur les mains, je le complète par un grande giclée par voie orale d'un liquide à haute teneur alcoolique et aromatisé à convenance (plus efficace que les tests, mais malheureusement fortement taxé et pas remboursé). Et j'attends surtout sans impatience les prochaines vagues, ou résurgences (comme tu voudras) qui ne manqueront pas de survenir, barrières ou pas barrières, vaccin ou pas vaccin dans les prochaines années, comme c'est le cas pour toutes les contaminations aérogènes.
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