Premier octobre. Notre Ministre de la Santé devait parler pour faire un point sur la pandémie, rite devenu désormais hebdomadaire. Comme d'habitude, pas de suspense, les journalistes mis au courant sous le manteau par des sources bien informées mais qui, pudiquement, préfèrent rester discrètes, avaient détaillé les annonces qu'il allait faire, les mesures qu'il allait prendre (schématiquement, sans entrer dans le détail : rien). Rien, ce n'est pas beaucoup,
je me demandais comment il allait occuper le terrain derrière son pupitre (c'est un exercice très difficile quand on n'a rien à dire, je le sais par expérience personnelle, tenir en haleine un auditoire attentif et impatient en attendant la réparation ou le remplacement d'un vidéoprojecteur défaillant indispensable au support imagé et documenté de votre présentation est un moment intéressant et palpitant qui vous fait penser à l'éternité, en bref, ça paraît très long).Le Ministre a commencé très fort, avec une séquence nostalgie dans un amphithéâtre de Bichat, où il a dit avoir fait ses débuts de ministre de la santé, un truc émouvant à tirer des larmes et à faire pleurer dans les chaumières, comme je ne suis pas un grand romantique, je n'ai pas pleuré, et j'ai attendu sans trop d'impatience que ça lui passe. Il a embrayé rapidement sur la contagiosité du virus, sa propagation rapide, ce n'était pas un scoop, pour m'occuper, j'ai essayé de m'initier au langage des signes en m'intéressant aux gestes du mec qui fait du sémaphore en direct dans l'incrustation à l'écran. Mal m'en a pris, si je deviens sourd, il me reste un bon bout de chemin d'apprentissage à faire avant de poursuivre convenablement une conversation, j'espère que les prothèses auditives qu'ils font maintenant me suffiront (on dit prothèse, plus exactement on devrait dire orthèse, par exemple, une jambe de bois, c'est une prothèse, une canne ou une béquille, c'est une orthèse, mais on n'est pas là pour ergoter).
Il a démarré ensuite en brossant méticuleusement un tableau de la situation, avec des couleurs, pour qu'on comprenne bien. En gros, je t'explique, c'est différent du déconfinement (c'était vert orange rouge, comme les feux de circulation), maintenant c'est comme au ski. Les pistes vertes, c'est facile, c'est pour les débutants, ça descend à peine, des fois tu dois même pousser sur les bâtons pour avancer, les bleues c'est un cran au dessus un peu plus pentu, les rouges tu ne rigoles plus, tu descends, les noires, je ne t'en parle même pas, tu ne les descends pas, tu les dévales, et pas toujours exprès, parfois même de façon peu académique. Pour les tableaux de la situation, c'est la même chose, à part que du bleu, il n'y en a pas, c'est moins compliqué : Vert, tout est bien, ce sont des endroits que le virus méprise, il ne sait peut-être même pas qu'ils existent, je serais région verte je serais un peu vexée de ce dédain. Rouge, c'est l'alerte, tu es encore dans les clous, mais tu dois faire attention. L'alerte renforcée (rouge vif, enfin plus rouge que rouge), c'est que tu as des index qui dépassent les limites, mais pas tous, bien sûr tu dois faire bien attention aussi, on ne sait pas trop à quoi, mais tu dois faire attention. L'alerte maximale, ça doit être pourpre, ou rouge sombre, ou rouge sang, ou écarlate (ça doit faire un peu peur, mais pas trop quand même, l'angoisse, mais pas la panique, c'est ça la communication), c'est tous les index dépassés, il faut faire très attention aussi, sans quoi tu te retrouves en état d'urgence sanitaire, et là, c'est très grave, tu es très embêté, parce que tu n'as plus de couleurs à ta disposition. Il y aurait bien le noir, comme au ski, mais outre le fait que le noir ne serait pas une couleur [ça se discute, parles-en avec Pierre Soulages], il n'est pas de bon augure, le noir dans notre culture est signe de deuil, il a un côté négatif, bref, ce n'est pas bon pour le moral, donc on évite, on en parle juste pour évoquer ce qui nous pend au nez, mais on ne l'utilise pas, un peu comme des parents qui menacent des enfants turbulents sans jamais les corriger vraiment, un peu comme la bombe atomique qui fait dissuasion.
Une fois qu'on a bien fait le tour des tableaux, on fait le tour de France (pas à vélo, le vélo c'était en septembre cette année, pas en juillet comme d'habitude), métropole par métropole : Bordeaux, Nice, Marseille, où l'on note comme dit le Ministre un « frémissement », un ralentissement de l'accélération de la vitesse de propagation du virus (si, si, il a bien dit ça, et c'est bien ce qu'il voulait dire !), bref, il a été rassurant, en fait c'est moins grave que si c'était pire, c'était seulement pour justifier qu'on va bientôt leur permettre de rouvrir au moins partiellement les établissements qui ont été brutalement fermés sans préavis et surtout sans concertation préalable, sans même prévenir les élus locaux qui s'en sont offusqués (l'élu local est un personnage qui se distingue, quand il n'est pas incognito (et c'est rare quand il y a une caméra en action dans les parages), par une écharpe tricolore, portée le plus souvent en bandoulière, de l'épaule droite à la hanche gauche, avec le rouge près du col pour un député ou un sénateur, le bleu près du col pour le maire et le conseiller municipal, la couleur du gland (attention, celui de l'écharpe) étant également codifiée [mais attention, pas en présence du maire pour le conseiller municipal], l'élu local, même quand on est ministre, c'est comme pour les chats, ça doit se caresser dans le sens du poil, sinon ça fait de l'électricité, ça ne remplace pas les éoliennes ni les panneaux photo-voltaïques, mais c'est embêtant). Lille, Lyon, Grenoble, Toulouse et Saint-Étienne sont prometteurs, à deux doigts de l'alerte renforcée, pour Paris qui est à part (forcément), on se garde une petite marge de manœuvre, il suffit de préciser si c'est intra-muros, ou si on inclut la petite couronne, c'est mathématique, les index ne sont plus les mêmes, du coup, astucieusement, on peut faire un peu ce qu'on veut.
Lille a obtenu un petit délai, on ne peut pas se fâcher avec tout le monde, il y a déjà Marseille qui fait la gueule. Pour les restaurateurs en sursis, on va encore atermoyer un peu, histoire de ne pas se dédire trop rapidement (et puis ils proposent tellement de précautions sanitaires que c'en est attendrissant, ils proposent pour éviter des déplacements supposés générateurs de contamination, de payer à table plutôt qu'à la caisse, en toute bonne logique, et pour réduire les risques, ils pourraient même proposer de ne pas payer du tout, c'est ça qui serait hygiénique).
La doctrine « Tester-Tracer-Isoler » a évolué : ou plutôt, en réalité elle a subi un lifting sévère, comme une vieille belle qui se serait fait tirer de façon tellement importante qu'elle se retrouverait désormais avec du poil au menton. Maintenant, avec les conseils judicieux de communicants imaginatifs et survoltés, c'est devenu pour le même prix (et encore peut-être pas, la communication de ce niveau, ce n'est jamais gratuit) « Tester-Alerter- Protéger ». C'est malin pour les deux derniers mots du triptyque seulement, parce que tester à tout-va, je ne comprends toujours pas bien l'efficacité que ça peut avoir (je m'en suis déjà expliqué précédemment, je ne veux pas radoter).
Tracer avait un parfum de traçage, de tracking par drone, de filature, un petit côté Big Brother, une évocation de police de l'autre côté du mur (à l'époque où il y avait un mur), une impression de surveillance occulte qui ne plaît pas trop (l'application StopCovid19 souffre vraisemblablement de la méfiance que suscite ce traçage). Isoler, dans le même ordre d'idée, évoquait la solitude, la claustration, l'enfermement au pain sec et à l'eau, voire la clôture, ça sentait la prison, la geôle, le cachot, le cul-de-basse-fosse froid et humide, les oubliettes, bref, rien que d'y penser, tu n'as pas envie d'être isolé.
La différence sémantique est sensible : Alerter te met en confiance, tu sens la solidarité à ton égard, la prévenance, on te prévient, tu te sens pris en charge dans ton intérêt. Protéger, ça va dans le même sens, c'est encore mieux, tu te sens pris en charge, cocooné, protégé en même temps que tu protèges les autres (en t'isolant, c'est malin). Comme quoi, il faut reconnaître qu'il y a des virtuoses du langage, des maestros du vocabulaire (tu peux écrire maestri si tu veux faire croire que tu connais l'italien et tenter de me snober, mais le Larousse de l'Agagadémie française me donne raison). La doctrine n'a pas changé d'un iota, mais l'idée qu'on s'en fait s'est grandement améliorée. Pour un peu, si je ne me retenais pas et si les queues n'étaient pas si longues, j'irai me faire tester gratuitement, rien que pour participer et être à la mode, et éventuellement être alerté et protégé si besoin est.
On a appris à cette occasion qu'on était les meilleurs testeurs au monde, que c'est nous qui en faisions le plus, cocorico dérisoire (ce qui nous fait la jambe fort belle au regard de l'évolution de la pandémie), qu'il y avait une forte demande, que les gens en redemandent, mais aussi qu'il y avait des retards inacceptables dans le rendu des résultats, mais que l'organisation par territoires allait être encore améliorée. On allait également « prioriser », c'est à l'ordre du jour (en quelque sorte, c'est une priorité !). Prioriser pour éviter les files d'attente invraisemblables (on est passé de 6 jours à 4 1⁄2 jours en moyenne), et les délais interminables de rendu des résultats (actuellement 48 heures en moyenne). Pour les tests antigéniques, on réfléchit encore à une stratégie d'utilisation, mais on a le temps (ils ne sont pas encore franchement au point). Et puis, d'un point de vue épidémiologique, ils ne sont intéressants que rétroactivement. Apprendre après coup que tu as été malade n'a en soi, qu'un intérêt anecdotique. Déjà que l'apprendre sur le coup avec les PCR, ça ne te permet pas grand-chose d'autre que de faire ton intéressant...
En conclusion, « la stratégie utilisée est juste et bonne » (le ministre l'a dit comme ça, sans sourciller, donc ça doit être vrai, et il n'y a pas à en discuter plus avant). Pour la suite des opérations, il a refilé judicieusement la patate chaude au bon Professeur Salomon pour un rendez-vous la semaine prochaine. Depuis, j'attends sans impatience de savoir si on est rouge écarlate ou noir, quelles mesures plus contraignantes vont être instaurées, à quelle date et pour combien de temps, et je m'attends à tout, peut-être à devoir mettre un masque même pour aller pisser ou prendre ma douche.
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