Concours Vol à Voile Inter-régional Nord-Pas-de-Calais-Picardie à Abbeville Mai 2003 : Concurrent sans illusion, j’ai participé aux épreuves de cette compétition dont je garde comme souvenir le plus marquant le fait que, si j’ai toujours pris le départ, je ne me suis jamais posé sur le terrain d’Abbeville. C’est dire que mon expérience de la vache s’est énormément enrichie à cette occasion. L’une d’entre elle n’a pas manqué de pittoresque.
J’avais pris le départ très motivé, non pas pour gagner, mais au moins pour rentrer au terrain. Tout semblait pourtant jouable, j’avais parcouru 212 km sur les 250 prévus, honorable, sans plus, ça devait rentrer, et puis la convection s’est affaiblie prématurément sans signes prémonitoires (ou alors je ne les ai pas détectés, c’est aussi fort possible). Me voilà en train de spiraler pour la pompe qui rentre, ou plutôt de la chercher, cette pompe qui monte, parce que pour l’instant, c’en est une qui ne monte pas beaucoup, mais alors vraiment pas beaucoup, au point de ratisser pour trouver où ça peut monter mieux, là, le village, non là, pas là non plus, la petite usine, le petit creux, le bosquet bref, plus rien de sérieux, la vache se dessine,
les champs confortables, celui-là ira bien, avec le chemin qui monte au village au bord de la nationale. VERDO, STVBCR [2], routine respectée comme à la parade, gage de sécurité : Vent arrière, base, finale… Vu de la courte finale, ce champ est rudement long, je rentre les aérofreins pour me poser plus loin devant, le chemin d’accès est à l’autre bout. Petite surprise indétectable près du sol : dévers droit assez marqué. Pas d’autre choix que de mettre les ailes parallèles au sol, et de contrer à gauche aux pieds. Pas académique, mais efficace (du coup, j’ai relu un peu plus tard sur le sujet : rien dans le bouquin bleu, juste une phrase dans la documentation « le vol sur la campagne » qui dit comme ça qu’il faut éviter cette situation, ce qui me fait une belle jambe et me laisse sur ma faim).Me voilà posé dans les plantules de maïs, j’ai bien dû en abîmer deux ou trois. Je sors de la machine, dégrafe le parachute, et fais comme à peu près tout le monde en pareil cas (après plus de quatre heures de vol), je soulage ma vessie. Effectivement, ce champ est très grand (j’ai mesuré plus tard 850 m). Là bas tout au bout, à 700 mètres donc, sur le chemin, je vois apparaître un gros camion de pompiers, mais vraiment gros, pas vraiment la grande échelle mais presque, toutes sirènes hurlantes et tous gyrophares en action, illuminé comme un arbre de Noël, qui rentre dans le champ, dans ma direction. Eh ! Il n'y a pas le feu ! Quels signaux non ambigus faire (avec une seule main, je vous le rappelle) pour dire à un camion de pompiers venu à votre secours de stopper en plein élan, que tout va bien ? Aucun ne m’est venu à l’esprit, de ce fait, honte à moi, mais pourquoi le cacher, j’ai pour ainsi dire, au propre comme au figuré, laissé pisser.
A peu près à mi-parcours, ils se sont enfoncés profondément dans le sol meuble malgré les gros pneus basse pression, et sans perdre leur sang froid, pour ne pas risquer de s’enliser définitivement, sans s'arrêter, ils ont fait demi-tour et sont retournés sur le chemin d’où ils venaient, et où ils m’ont attendu. Un peu plus tard, arrivé près d’eux, je leur ai fait remarquer que les dégâts de mon petit planeur n’étaient rien à côté de ceux qu’ils avaient provoqué avec leur engin, mais bon, ils étaient comme l’enfer, pavés de bonnes intention : ils ne pouvaient pas savoir, ils pensaient que j’avais besoin d’aide urgente, que de gesticuler de loin pour leur prouver ma bonne santé les avait renforcés dans l’idée qu’il y avait une deuxième passager blessé dans l’avion, bref un maximum de bonnes raisons pour justifier d’un maximum d’ornières de fortes taille. Le hasard, la malchance peut-être, avait voulu qu’ils soient en manœuvre dans les parages, et qu’ils aient vu le planeur tournoyer puis « piquer » (je veux bien admettre que la pente en finale du LS3a avec les landings [3] peut surprendre les non initiés, de là à confondre avec un piqué…).
Bref, on discute, on s’explique, je préviens le PC vache, coordonnées, points tournés, rien que du classique, et alerte également la compagne qui assure mon dépannage [4], rendez-vous au bord de la nationale au débouché du chemin dans la petite agglomération. Curiosité légitime des soldats du feu, nous voilà partis vers le planeur pour une visite impromptue : tableau de bord, commandes, gouvernes, instruments, bref, les questions habituelles. Notre petit groupe revient vers le camion, personnellement je suis pressé d'aller attendre le dépannage sur la route, quand au bout du chemin arrivent les gendarmes. Avec le gyrophare, mais pas la sirène (ils ont la radio, les pompiers, et ils ont un peu extrapolé et laissé parler leur imagination). Les pandores sont tout surpris de trouver un seul pilote, en bonne santé sur ses deux pattes arrières, pas blessé, rien. Ils ont quand même fini par éteindre leur gyrophare. Retour auprès du planeur pour une nouvelle visite de curiosité, pour les mêmes explications, il y a même des pompiers qui y sont revenus.
Retour vers le chemin et les véhicules, je suis de plus en plus pressé de réceptionner ma dépanneuse sur la grand’route. Mais la maréchaussée ne l’entend pas de cette oreille, scrogneugneu. Après une longue conversation radio avec qui de droit, les chefs, la préfecture, que sais-je, ils reviennent sur moi et me demandent évidemment mes papiers : la procédure, c’est la procédure, après tout, c’est «stricto sensu», une catastrophe aérienne. Mes documents sont dans le planeur, à plus de 700 m de là, je vous le rappelle. Je rechigne à y aller d’emblée, ma compagne va arriver, et si je ne l’attends pas au bord de la route, elle va s’inquiéter, chercher sa route avec une remorque de planeur, c’est sa hantise (essayez de faire demi-tour ou même simplement marche arrière sur une route étroite avec une remorque de planeur attelée, vous comprendrez). Finalement, on transige, je me paie l’aller et retour au planeur pour en ramener les papiers, et eux, pendant ce temps, vont l’attendre sur la route. Ils dû juger que je ne risquais pas de prendre la fuite... Complaisamment, ils l’aideront à faire demi-tour sur la nationale avant de la guider.
Sur ces entrefaites, le propriétaire du champ, alerté par on ne sait quoi, par on ne sait qui, comme toujours les paysans dès qu’on pénètre sur leurs terres, arrive sur les lieux (il faut dire qu’un camion de pompiers rutilant, ce n’est pas fait pour faire discret, ce n’est pas un véhicule militaire en tenue de camouflage). Je lui explique ma mésaventure, et on retourne là-bas voir la machine, simple curiosité de sa part. En cheminant, excuses plates pour le dérangement, pour la détérioration des cultures, je suis assuré, si besoin, constat, bref, les choses habituelles. Il semble plus intéressé par les traces du camion de pompiers que par autre chose (en dehors du planeur, s’entend). Conversation sympathique, décontractée, portant comme on s’en doute sur le vol à voile, il téléphone à sa femme et lui propose de venir voir un planeur de près. Le temps de revenir sur le chemin, elle arrive, avec son gamin.
Revoilà les gendarmes avec mes dépanneurs (Patrick disponible après les envols, puisque pilote remorqueur, s’est proposé pour nous aider). Dès lors, épluchage des papiers : Il a fallu expliquer la licence sportive «qui comprend l’assurance responsabilité civile», la licence de pilote qui fait office de «permis de piloter». Le carnet de route [5] était resté dans le planeur, heureusement, ils ne me l’ont pas demandé, il aurait fallu que j’y retourne. Pour le constat, ils prennent une photo avec un petit appareil jetable en carton, en restant sur le chemin, pas pressés de retourner à l’autre bout du champ, mais je ne suis pas sûr qu’à cette distance le résultat sur la pellicule soit plus significatif qu’une chiure de mouche… Ils font leur rapport par radio et vérifient que je ne serais pas éventuellement recherché, que je suis « inconnu des services de police » comme on dit.
La meilleure façon de faire sera de mettre l’arrière de la remorque dans le champ, en contrebas, inclinée vers l’arrière, et de ramener le planeur en bonne place pour le démontage. Je me propose d’amener la voiture en marche arrière pour épargner la culture, mais le paysan blasé nous conseille d’y aller franchement, il n’est plus à ça près, après le camion et tous ces piétinements.
Les gendarmes, après avoir vérifié qu’il n’y avait aucun souci, aucun contentieux, que tout se réglerait par les assurances si besoin était, nous saluent et nous abandonnent. Nous voilà partis pour notre dernier aller et retour sur ce terrain. Les pompiers nous quittent aussi, leur curiosité pour le démontage apparemment émoussée, le reste n’est que de routine : le gamin assis dans le planeur, fier comme Artaban, Tanguy et Laverdure à lui tout seul, le retour en tenant l’aile [6], le démontage classique et sans surprise. Après les quelques poignées de main de rigueur (il y avait quelques curieux supplémentaires), nous finissons par apprendre, à mots couverts, qu’un vieux différend oppose le capitaine des pompiers au paysan, une solide dispute dont plus personne, comme à l’accoutumée, ne connaît les tenants ni les aboutissants, et que l’incident a donné lieu à un superbe prétexte à l’un pour rouler sur les terres et détériorer les cultures de l’autre, ça expliquerait en bonne partie le zèle à me porter secours. J’ai cru comprendre aussi que le souci principal semblait de tenter de faire peser la responsabilité des dégâts sur les sauveteurs trop enthousiastes, ou leur chef, mais ça paraissait difficilement possible : le primum movens de l’affaire, c’était quand même le planeur au milieu du champ. Je suis repassé par là en vol trois ou quatre semaines plus tard : les dégâts n’y étaient plus apparents, les ornières n’étaient plus visibles, la végétation avait repris ses droits…
La suite du dévachage est anecdotique, banale. Ce n’est qu’en calculant que j’avais parcouru onze fois la longueur, soit 7,7 km dans le champ,sur de la terre meuble, que je me suis expliqué la fatigue ressentie, et que je me suis juré, mais un peu tard, que je m’arrangerais pour me poser, la prochaine fois, beaucoup plus près du chemin d’accès.
OooOOOooo
-1 La vache, dans le langage vernaculaire vélivole, ou plus simplement dit dans l'argot aéronautique du pilote de planeur, est un atterrissage hors aérodrome. Par définition, c'est interdit, sauf en cas de force majeure (la réglementation s'est assouplie pour les ULM). Du point de vue administratif, c'est une catastrophe aérienne avec tout ce que ça comporte de formalités (entre autres, informer la gendarmerie). Par convention, quand il n'y a aucun dommage matériel ni corporel, le Bureau Enquêtes et Accidents ne se saisit pas du dossier.
-2 VERDO, STVBCR (Si Tout Va Bien Continue Roger) Formules mnémotechniques pour les actions à effectuer pour l'atterrissage (Sangles à resserrer, Train sorti, Volets baissés, Ballasts vidés, Compensateur, Radio message d'info) et le choix d'un champ (Vent, État de surface, Relief, Dimensions, Obstacles).
-3 Les landings sont des volets de courbure qui creusent le profil de l'aile et augmentent donc sa portance. On les sort dans le but de diminuer la vitesse en spirale pour en réduire le diamètre (un cran), ou en configuration d'atterrissage pour descendre sans augmenter la vitesse (deux crans).
-4 En compétition, la procédure est d'abord d'informer l'organisateur (sécurité, classement), et seulement ensuite l'équipe d'assistance (parfois une seule personne) qui viendra avec la remorque. Deux personnes (dont le pilote) suffisent pour démonter et « mettre en boîte » la plupart des planeurs.
-5 Le carnet de route est un document sur lequel sont notés tous les vols de la machine, il est accompagné du certificat d'immatriculation (équivalent à la carte grise d'une automobile) et doit être présent à bord.
-6 Quand on le peut, on amène la remorque devant la nez du planeur. En l'occurrence, on a préféré ramener le planeur en le tirant avec la voiture jusqu'à l'entrée du champ.
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