Je ne suis pas historien, et ce n'est pas à l'école que j'ai pu apprendre, enfant, l'histoire récente de mon pays. Pour s'obliger à un sacro-saint et respectable principe neutralité (il ne fallait pas qu'on puisse confondre enseignement de l'histoire et éducation politique, aussi bien chez les élèves que chez les enseignants), les programmes scolaires s'arrêtaient à la guerre de 70, et encore, dans un flou artistique pudique. C'était, apparemment, trop frais. Je n'ai appris qu'« ils » nous avaient pris l'Alsace et la Lorraine qu'au travers des récits familiaux de mes grands parents anciens combattants de la Der des Der, pas exagérément revanchards, mais surtout patriotes grand teint.
Depuis, j'ai mûri (un peu seulement, j'ai encore parfois devant l'actualité des étonnements d'enfant naïf). Ado, j'ai appris la réconciliation (merci de Gaulle) (et, par conséquent, l'allemand). Je me suis fait une opinion d'adulte, de citoyen sur la Grande Guerre, sur le conflit mondial consécutif et l'arme nucléaire, sur la guerre d'Indochine et celle d'Algérie. Je ne sais pas grand- chose, je sais que gouverner est un art difficile, mais il n'a échappé à personne qu'en 1939, nos dirigeants se préparaient à des hostilités de type 14-18, tranchées, fortifications imprenables et distribution de masques à gaz. Ils ne préparaient pas le bon combat. Peut-on leur en vouloir ? Et peut-être question encore plus dérangeante, y a-t-il de bons combats ?
Loin de moi l'idée de philosopher comme si j'étais sage, d'élaborer des stratégies de Café du Commerce, mais la période actuelle présente de troublantes analogies : nous sommes en guerre, c'est Mon Président qui l'a dit, on croyait qu'on était prêts, en réalitéce n'était pas tout à fait le cas, on a donc été pris au dépourvu, on a fait avec les moyens du bord, du mieux qu'on a pu, par comparaison, on n'a pas été pires que les autres (on peut en discuter longuement, mais c'est un peu tôt pour un bilan), je dis « on » pour m'associer, pas pour dénigrer. Situation pas facile, mesures d'urgence, on ne discute pas les ordres (la grande muette dit « seulement après qu'ils aient été exécutés »), on fait corps, le bateau dans la tempête, tout le monde rame dans le même sens, colmate les brèches, ce n'est qu'à l'accalmie qu'interviendra la réflexion.
Je sais bien que les (plus ou moins) experts (plus ou moins) médicaux et autres savants érudits ont un discours disparate et troublant, mais ça ne devrait pas empêcher nos instances dirigeantes de faire preuve de bon sens. Pour des raisons qui resteront probablement à éclaircir, on manquait de masques, de lits, de personnel, de tests. Nos dirigeants s'en sont débrouillés du mieux qu'ils ont pu, avec l'assentiment général le plus souvent. On manquait aussi de connaissances sur le virus, sur sa diffusion qu'on sait maintenant aérogène, il n'y a pas de traitement autre que symptômatique, ce qui réduit beaucoup nos possibilités d'action. La prévention est donc indispensable, au premier chef, le confinement, mesure sévère efficace pour tuer la maladie, qui risque aussi de tuer le malade, mais aussi et surtout la distanciation sociale et physique, bien avant tous les autres gestes barrière comme le port du masque en espace clos, en milieu mal ventilé, et le lavage des mains.
La doctrine de pratiquer les tests à tout-va, préconisée par certains m'interroge fortement. Même l'OMS y est favorable, ce qui renforce encore ma perplexité. Tester – tracer -isoler est la nouvelle religion, que je ne comprends toujours pas. On l'a pratiquée dès les débuts, dans l'Oise, sur un foyer épidémique relativement limité (cluster est devenu un mot à la mode à ce moment-là), au moment où les tests étaient disponibles et les résultats rapides. Ça ne nous a pas empêchés d'être submergés, débordés, saturés par la recherche des cas-contacts. C'est à grand-peine qu'on a retrouvé le patient zéro, trop tard évidemment, il avait eu le temps de faire des petits partout (ce n'est pas une surprise, c'est un peu le principe de l'épidémie). Ça aurait dû leur mettre la puce à l'oreille... Ensuite, on a manqué de tout, de tests, d'écouvillons, de préleveurs, de réactifs. Des cartes multicolores nous ont autorisé le déconfinement. On a quand même insisté, têtus, avec cette même stratégie qui devait nous épargner une reprise. Les escadrons de traçage dans les starting-blocks ont caracolé, mais pas assez vite apparemment (mai 40 vous disais-je). Comment voulez-vous tracer un sujet qui attend une semaine ou plus son test, et plus de huit jours ses résultats ? S'il a une vie réglée comme du papier à musique, pépère, avec peu de relations, et qu'il a bonne mémoire, on a une chance, pour peu qu'il ne soit pas allé au spectacle, à un match de foot ou à une communion. Autrement, c'est perdu d'avance, je le dis sans pessimisme outrancier (de toute façon, ce n'est pas une question d'humeur, c'est le simple constat un peu fataliste qu'en cas d'épidémie de ce type, il faut être modeste, on peut éventuellement ralentir plus ou moins fortement la progression (avec des mesures très strictes) mais pas la stopper définitivement). Les délais pour ces tests peuvent exceptionnellement être raccourcis, mais il faut au moins être professionnel footballeur, cycliste ou ministre (ce qui n'est pas donné à tout le monde). Il y a même eu un labo qui proposait un circuit court moyennant finances, « business is business », devant la réprobation générale, il a expliqué qu'il ne le ferait plus (ou alors plus discrètement ?).Si tu es malade, tu peux demander à passer en priorité, c'est possible, mais les modalités d'une priorisation qu'on vient de juger indispensable ne sont pas encore parfaitement définies, et ta fièvre sera retombée avant que ce ne soit le cas. A côté de ça, maintenant, les tests, on ne les vend plus, on les offre, même plus besoin de prescription médicale, c'est comme tu as envie, résultat on encombre un peu plus un système qui grippe un peu et qui n'avait pas besoin de ça. Un jour, je finirai par comprendre cet acharnement sur les tests (mais pas tout de suite, je ne suis certainement pas assez vif d'esprit, mais j'ai encore espoir qu'un de ces obsédés des tests qui se cramponnent à leur idée fixe comme des morpions à leur poil pubien m'explique l'avantage incontestable qu'ils apportent dans la lutte contre la pandémie).
Tester – tracer – Isoler contre vents et marées, le nez dans le guidon, quel que soit le résultat, sans réfléchir, quoiqu'il en coûte, j'observe toujours sans comprendre. On peut obtenir facilement l'information sur le nombre de tests réalisés, sur le nombre de cas positifs, par ville, par département, par région, il est plus difficile de trouver des chiffres exhaustifs sur les dénombrements de cas-contacts, sans parler « des perdus de vue », et on ne parlera pas trop des sujets positifs que l'on a « incités » plus ou moins fortement à l'isolement, ni avec quels résultats. On ne peut évidemment pas les mettre en prison (et encore, selon ce que j'en sais, les prisons ne seraient pas des lieux aussi clos qu'on pourrait le penser). Je ne veux même pas parler de l'application de traçage sur smartphone, StopCovid19, application française gratuite, sans publicité, qui devait faire monts et merveilles, téléchargeable mais très peu téléchargée, même les plus ardents défenseurs avouent que c'est un bide sans nom (mai 40 toujours).
Et, comme c'est bizarre, malgré cet entêtement opiniâtre sur les tests qu'on pratique de plus en plus, les courbes d'admission dans les hôpitaux et les services de réanimation remontent, plus vite par ici, moins vite par là, avec des comparaisons et des commentaires d'observateurs quelquefois drôles, un peu comme si c'était une compétition de bonne conduite, comme si c'était lié au comportement de quelques uns. Si ça continue, on va finir par trouver des boucs émissaires, ça nous ramènera quelques siècles (ou années) en arrière. C'est la faute aux jeunes, parce qu'ils sont jeunes et irresponsables, salauds de jeunes ! C'est la faute aux vieux, parce qu'ils sont vieux et fragiles, salauds de vieux ! Déjà dans l'Oise, c'était soit-disant la faute à ceux qui étaient allés en Chine pour ramener nos expatriés confinés, maintenant c'est à Marseille que sont désignés les coupables de transmissions excessives, ces marseillais qui ont le gros défaut de ne pas être parisiens, mais qui s'en défendent bien en prétendant que ce sont les touristes parisiens estivaux qui sont à l'origine des contaminations... En attendant, faites vous tester, avec ou sans ordonnance, je ne pense pas que le résultat de votre test puisse avoir un impact significatif sur l'évolution de la pandémie et de la vague qu'on pressent, mais ça vous fera passer un moment, en cette période où les distractions se raréfient (les bars de nuit ferment, les lieux culturels restent ouverts, de quoi me rendre mélancolique, moi qui ai plus souvent envie de m'hydrater [m'alcooliser ?] que de me cultiver !), mais surtout préparez-vous à taper à nouveau sur des casseroles à 20 h pour encourager les personnels soignants, un peu plus fort que la dernière fois, ils sont un peu fatigués, ça les rend sourds.
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