08 mars 2021

Chronique de Charles : Sans viande ! (N'oubliez pas de lire celle d'hier)

Dans ma jeunesse, j'ai mangé à la cantine de mon lycée à partir de la 6 ème jusqu'au bac, j'ai mangé au restaurant universitaire pendant toutes mes études qui furent longues et difficiles (il faut croire que je n'étais pas très doué, j'ai souvent dû me cramponner), ça ne m'a pas traumatisé outre mesure, c'est sûr que ça ne valait pas la cuisine familiale, ça m'a laissé quand même quelques souvenirs impérissables (le risotto servi dans sa marmite par tablée de huit qu'on pouvait retourner (pas la table, la marmite) tant il était compact et collant, l'omelette aux œufs en poudre avec ses épinards nature (et nature ce n'est pas vraiment bon, c'est pour ça qu'on y met du beurre, ce n'est pas seulement pour l'expression), le steak haché genre biscuit sec de ration militaire), mais ça n'a pas empêché de grandir l'adolescent famélique et attardé que j'étais (même si chez moi, à l'instar des grands immeubles d'habitation sans ascenseur ce sont les étages du haut qui sont les moins bien meublés). Je n'avais et je n'ai toujours pas de réticences à la restauration collective, j'ai même des souvenirs agréables de colonies de vacances entre autres où j'ai parfois très bien mangé, j'ai également fort apprécié, à mon grand étonnement du point de vue culinaire, un petit séjour à l'Hôpital Militaire de Lille du temps où c'était vraiment un hôpital (j'avais bon appétit, et je n'étais pas franchement malade). Après tout, dès qu'on se retrouve en nombre, en voyage ou à l'occasion d'un symposium ou un congrès, c'est de la cuisine collective, on ne choisit pas le menu, c'est servi rapidement, à la bonne température. A part quelques ratés de service (et comment veux tu qu'il n'y en ait pas, quand tu sers mille ou deux mille personnes à la fois ?) qui font l'anecdote, rien à signaler, il faut dire que sans être franchement bégueule ni spécialement difficile, j'évite le plus souvent les gargotes, mais on n'est de toute façon jamais à l'abri de mauvaises surprises. 
Le scandale, si c'en est un, vient de Lyon, plus exactement de ses cantines scolaires où serait prévu un menu unique et à l'occasion sans viande (il n'est pas indiqué si ça doit durer, à quelle fréquence ni pour combien de temps, les informateurs horrifiés, abasourdis par cette monstruosité perdaient le sens de la mesure et aussi un peu en précision). L'affaire est tellement embrouillée que je sais pas déterminer si elle est politique, sectaire, à la fois politique et sectaire, diététique, culinaire voire gastronomique, nutritionniste, sanitaire et diététique. Je ne sais toujours pas, après avoir écouté quelques débats passionnants mais surtout passionnés ce que je dois penser, et ça perturbe ma digestion (c'est vrai, égoïstement, je me fous un peu de ce qu'il y a dans l'assiette des petites têtes blondes scolarisées et restaurées dans la capitale des Gaules, mais le ramdam que ça déclenche me pose question). 
J'ai entendu un pédiatre confirmé largement titré affirmer qu'avant l'âge de dix huit ans il fallait deux repas avec viande par jour sous peine de carence en fer, cette carence étant déjà très présente chez nos jeunes, je le savais pour beaucoup de femmes, pas pour nos jeunes, je n'ai pas eu le temps de me désoler de mon manque de connaissance sur le sujet que l'intervenant suivant, un nutritionniste sérieux semble-t-il, dont j'ai mal retenu les niveaux de compétence proclamait qu'il était possible de manger équilibré et pratiquement sans viande, mais pas sans protéines (mais là on s'écartait déjà un peu du sujet, les œufs, le poisson, ce n'était pas vraiment le problème), comme il était partisan des végétaux (végétalien ou végétarien, ne confonds pas, il y en a un qui mange les œufs mais pas le fromage, ou l'inverse, je m'embrouille toujours, végan c'est encore autre chose, végétalisme, végétarisme ça devient un art de vivre, et c'est comme pour les religions ou les partis politiques, il y a d'une part les sympathisants et ceux qui en tâtent du bout des lèvres, les amateurs sans conviction, et d'autre part les intégristes, les purs et durs fortement convaincus, les adhérents fanatiques avec carte et cotisation). Bref beaucoup de mal à se faire, comme on dit, une religion. C'est vrai que la nutrition intéresse beaucoup de gens, mais c'est quand même encore une discipline (scientifique ?) en phase exploratoire et descriptive, pour laquelle beaucoup de notions seraient encore à préciser, à asseoir sur des bases solides avec des expérimentations sérieusement menées (par exemple, la consigne des cinq fruits et légumes par jour pour manger équilibré, dont on nous rebat les oreilles, n'a aucun fondement scientifique sérieux, c'est seulement un slogan de marchand de fruits et légumes, c'est juste un spot publicitaire qui a fait mouche). 
L'affaire est compliquée (je te l'explique, mais c'est sans trop de conviction, je ne suis pas vraiment sûr que tu comprennes d'un coup, un conseil, relis lentement, posément, prends des notes, ça va finir par rentrer, et si tu ne comprends vraiment rien, ce qu'on ne peut pas vraiment exclure, saute tout le paragraphe, je t'attends plus bas au paragraphe suivant) : c'est l'équipe municipale écologiste actuelle qui aurait enclenché un processus de repas sans viande, et c'est l'équipe gouvernementale actuellement en place qui s'en serait offusquée, en criant au scandale, équipe représentée en l'occurrence par son champion Ministre de l'Intérieur. Les verts nouveaux élus s'en défendent et expliquent que l'équipe municipale précédente, qui n'était pas verte, avait étrenné le processus au prétexte de distanciation, de protocole sanitaire, il faut dire qu'elle avait alors les faveurs du gouvernement (avant que les Lyonnais ne la remercie). Bref, une péripétie municipale à la manière de Clochemerle-en-Beaujolais qui fait le bonheur des uns et des autres dans un méli-mélo éhonté d'arguments spécieux. 
Là dessus, on est à Lyon, en terre de tradition gastronomique, le Charolais n'est pas loin, les éleveurs (de bonne viande) s'insurgent, ils se plaignent déjà de vendre leur viande pas cher, si en plus ils ne la vendent pas, ils vont dans le mur. Il ne manque plus que les tagueurs de boucherie pour en remettre une couche, pour que le phénomène prenne une ampleur imméritée, mais ces derniers sont un peu gênés aux entournures, l'abattage du steak de soja n'est pas exagérément cruel, n'entraîne pas trop de souffrance animale (pour ce que j'en sais, mais on me cache peut-être des choses, le cri de douleur du poireau qu'on arrache pour le pot au feu ne m'émeut pas outre mesure, peut-être que je suis sans cœur, mais il y a des gens qui caressent les arbres et à qui ce doit probablement être insupportable), et puis ils n'ont que de la peinture rouge en réserve, logiquement il leur en faudrait de la verte, et réfléchir aux commerces à dénoncer, les herboristes, les marchands de fruits et légumes, les pharmaciens, qui d'autre ? 
J'ai bien cru un moment qu'on allait mettre l'UNICEF sur le coup, l'enfance en danger c'est son domaine, lui suggérer de faire parachuter des rations de survie carnées sur nos écoles : martyriser nos enfants à coup de steak de soja, c'est vrai que ça doit être considéré comme un crime contre l'humanité imprescriptible et impardonnable, on ne peut pas laisser faire ça, apparemment, ils n'ont pas trop réagi, il faut croire qu'ils ont d'autres chats à fouetter, il y a de par le monde des enfants qui ont vraiment faim et qui se jetteraient sans réserve sur les repas de leurs cantines s'ils en avaient (des repas et des cantines), sans trop se préoccuper du menu.
Alors, oui, l'équilibre alimentaire est important, aussi bien pour les adultes que pour les enfants, alors oui, c'est important de bien manger, et c'est important de pouvoir le faire avec plaisir, pourquoi pas avec un peu de gourmandise (l'eau à la bouche est une nécessité physiologique si tu veux avaler sans difficulté, autrement tu t'étouffes, accessoirement on peut aussi mettre de l'eau dans son vin, mais si on n'est pas franchement obligés, je préfère séparer), alors oui on peut écouter les nutritionnistes et autres diététiciens, mais on n'est pas tenus de partir en croisade pour des ukases alimentaires dont la rationalité n'est même pas franchement établie.
Les parents d'élèves ont été mobilisés, se sont scandalisés mais modérément, juste pour dire que c'est de leurs gosses dont il s'agit, mais ils n'ont pas crié trop fort, si on ferme la cantine, au final ce sont eux qui vont récupérer le problème, et ils n'y tiennent pas trop, ne serait-ce que par commodité. Entre le casse-tête du déjeuner s'il n'y a pas cantine et les divergences de sensibilité politique avec l'équipe municipale, il n'y a pas trop de liberté de manœuvre, il n'y a pas trop de place pour des manifestations dures. Il y a encore des gens capables de mourir pour des idées (si, si, en cherchant bien on finirait par en trouver, l'espèce n'a pas entièrement disparu), mais il y en a peu d'assez impliqués pour dresser des barricades au motif d'un repas sans viande. 
Les enseignants ne se sont pas trop manifestés sur le problème, à ce que je sache, mais je n'ai pas suivi de très près cet épineux problème (probablement à cause de mon égotisme de vieillard que j'évoquais précédemment, et qui m'a fait négliger de suivre minute par minute l'évolution de cette actualité brûlante [en parlant de brûler, et pour info le steak de soja, c'est juste un aller et retour, trop cuit ce n'est pas terrible terrible]) 
Apparemment, la querelle s'est éteinte d'elle même, je n'en entends plus parler dans les médias (on devrait écrire media, mais je préfère comme ça), dans le rézosocio je ne sais pas ce que ça donne (je ne sais pas y aller, n'en ai pas envie, et j'arrive à survivre sans cette compétence). C'était une tempête dans un verre d'eau, une péripétie, on a occupé les écrans et les ondes un petit moment , juste pour un feu de paille (il faut savoir, c'est une tempête ou un incendie, choisis toi-même). Et pourtant, si tu y réfléchis bien, c'est quand même une manœuvre astucieuse à forte composante œcuménique : d'un seul coup, et peut-être même sans le faire exprès, on réglait beaucoup de problèmes qui empoisonnent les prestataires de la restauration scolaire, le porc, la viande halal, casher, le poisson des jours maigres, toutes ces contraintes balayées quasi instantanément, le steak de soja comme un symbole de la laïcité républicaine ! Déjà, si tu regardes les sondages, le steak-frites n'est plus le plat national, maintenant le couscous est largement devant (derrière toutefois le magret et le moules-frites), tu peux en penser ce que tu veux, c'est maintenant solidement établi, mais le kebab n'a pas dit son dernier mot.
Dommage,en tout cas, ça nous a distraits un moment, on ne peut pas parler tout le temps du virus et de ses variants, non plus que des quartiers en reconquête républicaine.

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