Le scandale, si c'en est un, vient de Lyon, plus exactement de ses
cantines scolaires où serait prévu un menu unique et à l'occasion sans
viande (il n'est pas indiqué si ça doit durer, à quelle fréquence ni pour
combien de temps, les informateurs horrifiés, abasourdis par cette
monstruosité perdaient le sens de la mesure et aussi un peu en précision).
L'affaire est tellement embrouillée que je sais pas déterminer si elle est
politique, sectaire, à la fois politique et sectaire, diététique, culinaire voire
gastronomique, nutritionniste, sanitaire et diététique. Je ne sais toujours pas,
après avoir écouté quelques débats passionnants mais surtout passionnés ce
que je dois penser, et ça perturbe ma digestion (c'est vrai, égoïstement, je me
fous un peu de ce qu'il y a dans l'assiette des petites têtes blondes
scolarisées et restaurées dans la capitale des Gaules, mais le ramdam que
ça déclenche me pose question).
J'ai entendu un pédiatre confirmé largement titré affirmer qu'avant l'âge
de dix huit ans il fallait deux repas avec viande par jour sous peine de
carence en fer, cette carence étant déjà très présente chez nos jeunes, je le
savais pour beaucoup de femmes, pas pour nos jeunes, je n'ai pas eu le
temps de me désoler de mon manque de connaissance sur le sujet que
l'intervenant suivant, un nutritionniste sérieux semble-t-il, dont j'ai mal retenu
les niveaux de compétence proclamait qu'il était possible de manger équilibré
et pratiquement sans viande, mais pas sans protéines (mais là on s'écartait
déjà un peu du sujet, les œufs, le poisson, ce n'était pas vraiment le
problème), comme il était partisan des végétaux (végétalien ou végétarien,
ne confonds pas, il y en a un qui mange les œufs mais pas le fromage, ou
l'inverse, je m'embrouille toujours, végan c'est encore autre chose,
végétalisme, végétarisme ça devient un art de vivre, et c'est comme pour les
religions ou les partis politiques, il y a d'une part les sympathisants et ceux
qui en tâtent du bout des lèvres, les amateurs sans conviction, et d'autre part
les intégristes, les purs et durs fortement convaincus, les adhérents
fanatiques avec carte et cotisation). Bref beaucoup de mal à se faire, comme
on dit, une religion. C'est vrai que la nutrition intéresse beaucoup de gens,
mais c'est quand même encore une discipline (scientifique ?) en phase
exploratoire et descriptive, pour laquelle beaucoup de notions seraient encore
à préciser, à asseoir sur des bases solides avec des expérimentations
sérieusement menées (par exemple, la consigne des cinq fruits et légumes
par jour pour manger équilibré, dont on nous rebat les oreilles, n'a aucun
fondement scientifique sérieux, c'est seulement un slogan de marchand de
fruits et légumes, c'est juste un spot publicitaire qui a fait mouche).
L'affaire est compliquée (je te l'explique, mais c'est sans trop de
conviction, je ne suis pas vraiment sûr que tu comprennes d'un coup, un
conseil, relis lentement, posément, prends des notes, ça va finir par rentrer,
et si tu ne comprends vraiment rien, ce qu'on ne peut pas vraiment exclure,
saute tout le paragraphe, je t'attends plus bas au paragraphe suivant) : c'est
l'équipe municipale écologiste actuelle qui aurait enclenché un processus de
repas sans viande, et c'est l'équipe gouvernementale actuellement en place
qui s'en serait offusquée, en criant au scandale, équipe représentée en
l'occurrence par son champion Ministre de l'Intérieur. Les verts nouveaux élus
s'en défendent et expliquent que l'équipe municipale précédente, qui n'était
pas verte, avait étrenné le processus au prétexte de distanciation, de
protocole sanitaire, il faut dire qu'elle avait alors les faveurs du gouvernement
(avant que les Lyonnais ne la remercie). Bref, une péripétie municipale à la
manière de Clochemerle-en-Beaujolais qui fait le bonheur des uns et des
autres dans un méli-mélo éhonté d'arguments spécieux.
Là dessus, on est à Lyon, en terre de tradition gastronomique, le
Charolais n'est pas loin, les éleveurs (de bonne viande) s'insurgent, ils se
plaignent déjà de vendre leur viande pas cher, si en plus ils ne la vendent
pas, ils vont dans le mur. Il ne manque plus que les tagueurs de boucherie
pour en remettre une couche, pour que le phénomène prenne une ampleur
imméritée, mais ces derniers sont un peu gênés aux entournures, l'abattage
du steak de soja n'est pas exagérément cruel, n'entraîne pas trop de
souffrance animale (pour ce que j'en sais, mais on me cache peut-être des
choses, le cri de douleur du poireau qu'on arrache pour le pot au feu ne
m'émeut pas outre mesure, peut-être que je suis sans cœur, mais il y a des
gens qui caressent les arbres et à qui ce doit probablement être
insupportable), et puis ils n'ont que de la peinture rouge en réserve,
logiquement il leur en faudrait de la verte, et réfléchir aux commerces à
dénoncer, les herboristes, les marchands de fruits et légumes, les
pharmaciens, qui d'autre ?
J'ai bien cru un moment qu'on allait mettre l'UNICEF sur le coup,
l'enfance en danger c'est son domaine, lui suggérer de faire parachuter des
rations de survie carnées sur nos écoles : martyriser nos enfants à coup de
steak de soja, c'est vrai que ça doit être considéré comme un crime contre
l'humanité imprescriptible et impardonnable, on ne peut pas laisser faire ça,
apparemment, ils n'ont pas trop réagi, il faut croire qu'ils ont d'autres chats à
fouetter, il y a de par le monde des enfants qui ont vraiment faim et qui se
jetteraient sans réserve sur les repas de leurs cantines s'ils en avaient (des
repas et des cantines), sans trop se préoccuper du menu.
Alors, oui, l'équilibre alimentaire est important, aussi bien pour les
adultes que pour les enfants, alors oui, c'est important de bien manger, et
c'est important de pouvoir le faire avec plaisir, pourquoi pas avec un peu de
gourmandise (l'eau à la bouche est une nécessité physiologique si tu veux
avaler sans difficulté, autrement tu t'étouffes, accessoirement on peut aussi
mettre de l'eau dans son vin, mais si on n'est pas franchement obligés, je
préfère séparer), alors oui on peut écouter les nutritionnistes et autres
diététiciens, mais on n'est pas tenus de partir en croisade pour des ukases
alimentaires dont la rationalité n'est même pas franchement établie.
Les parents d'élèves ont été mobilisés, se sont scandalisés mais
modérément, juste pour dire que c'est de leurs gosses dont il s'agit, mais ils
n'ont pas crié trop fort, si on ferme la cantine, au final ce sont eux qui vont
récupérer le problème, et ils n'y tiennent pas trop, ne serait-ce que par
commodité. Entre le casse-tête du déjeuner s'il n'y a pas cantine et les
divergences de sensibilité politique avec l'équipe municipale, il n'y a pas trop
de liberté de manœuvre, il n'y a pas trop de place pour des manifestations
dures. Il y a encore des gens capables de mourir pour des idées (si, si, en
cherchant bien on finirait par en trouver, l'espèce n'a pas entièrement
disparu), mais il y en a peu d'assez impliqués pour dresser des barricades au
motif d'un repas sans viande.
Les enseignants ne se sont pas trop manifestés sur le problème, à ce
que je sache, mais je n'ai pas suivi de très près cet épineux problème
(probablement à cause de mon égotisme de vieillard que j'évoquais
précédemment, et qui m'a fait négliger de suivre minute par minute l'évolution
de cette actualité brûlante [en parlant de brûler, et pour info le steak de soja,
c'est juste un aller et retour, trop cuit ce n'est pas terrible terrible])
Apparemment, la querelle s'est éteinte d'elle même, je n'en entends
plus parler dans les médias (on devrait écrire media, mais je préfère comme
ça), dans le rézosocio je ne sais pas ce que ça donne (je ne sais pas y aller,
n'en ai pas envie, et j'arrive à survivre sans cette compétence). C'était une
tempête dans un verre d'eau, une péripétie, on a occupé les écrans et les
ondes un petit moment , juste pour un feu de paille (il faut savoir, c'est une
tempête ou un incendie, choisis toi-même). Et pourtant, si tu y réfléchis bien,
c'est quand même une manœuvre astucieuse à forte composante
œcuménique : d'un seul coup, et peut-être même sans le faire exprès, on
réglait beaucoup de problèmes qui empoisonnent les prestataires de la
restauration scolaire, le porc, la viande halal, casher, le poisson des jours
maigres, toutes ces contraintes balayées quasi instantanément, le steak de
soja comme un symbole de la laïcité républicaine ! Déjà, si tu regardes les
sondages, le steak-frites n'est plus le plat national, maintenant le couscous
est largement devant (derrière toutefois le magret et le moules-frites), tu peux
en penser ce que tu veux, c'est maintenant solidement établi, mais le kebab
n'a pas dit son dernier mot.
Dommage,en tout cas, ça nous a distraits un moment, on ne peut pas
parler tout le temps du virus et de ses variants, non plus que des quartiers en
reconquête républicaine.
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