29 mars 2021

La Chronique de Charles : Quadrature du cercle.

Jeudi. Le grand show sanitaire désormais habituel se met en place. On est avide de savoir comment notre vie va basculer, un peu comme pour les grecs de la période classique, notre sort est décidé en haut lieu (par les dieux de l'Olympe), et nous pauvres mortels n'avons plus qu'à nous plier à leurs volontés, à nous faire vacciner quand ils le voudront bien, à arrêter de le faire quand ils ne le voudront plus, à reprendre la quête impossible du vaccin quand ils décideront d'arrêter de le suspendre, à nous masquer jour et nuit si l'envie leur prend de nous l'imposer, à ne pas sortir sauf pour des motifs impérieux dûment répertoriés, et consignés dans des documents strictement horodatés, et en respectant des créneaux temporels de plus en plus exigus. 
La difficulté pour nos dirigeants empêtrés dans leurs contradictions est immense : Assurément il faut agir devant l'évolution de la situation sanitaire, des restrictions semblent devoir s'imposer, mais paradoxalement, il ne faudrait pas qu'elles soient trop restrictives, ces restrictions, tout en restreignant un peu, mais sans en avoir l'air, la territorialisation a permis de gommer, de justifier un peu ce qu'elles ont d'inégalitaire, la difficulté est de serrer la vis (vis à pas variable selon les endroits) sans qu'on s'en rende compte, assez cependant pour freiner le virus, mais pas au point de gêner beaucoup (trop?) la vie courante, les impératifs économiques et considérations psychologiques ayant toute leur importance. Et puis va-t'en essayer de faire respecter des mesures sanitaires contraignantes dans des zones en reconquête républicaine (c'est à dire pudiquement dans des endroits où les patrouilles de police n'osent pas aller, même en plein jour, relever une simple infraction de stationnement). C'est une équation difficile à résoudre, un peu comme celle de la quadrature géométrique du cercle. On s'est attelé au problème (pas moi, je suis trop nul, et je m'en suis toujours foutu un peu, moi faire un carré avec un rond, ou l'inverse, ça ne m'a jamais empêché de dormir, je ne me suis jamais fait des nœuds au cerveau pour des questions mathématiques de ce type) depuis l'Antiquité, pour découvrir et démontrer, il n'y a pas si longtemps, qu'il n'y a pas de solution. Et voilà ce à quoi nos dirigeants se sont confrontés. Comment vont-ils s'en tirer ? Les rumeurs évoquent avec insistance un confinement sept jours sur sept de l'Île de France et des Hauts de France, mais rien de définitif apparemment, les journalistes en attente sont un peu moins catégoriques, un peu moins sûrs d'eux que d'habitude. Suspense... 
On vient d'apprendre l'avis positif (vaccin sûr et efficace) émis par l'Agence Européenne du Médicament [en traduction journalistique grand public libre] (la transcription exacte de ses conclusions est beaucoup plus nuancée, beaucoup moins abrupte mais surtout moins euphorique, la formulation précise est beaucoup plus réservée « On ne peut pas exclure l'existence d'un lien entre la vaccination et les thromboses ») quand nos vedettes du jour se mettent en place à l'heure dite devant leur pupitre. Le gel hydro-alcoolique n'est plus d'actualité. Plein de tonus, le Premier Ministre part bille en tête, c'est vrai qu'il aurait du mal à le nier, l'épidémie progresse. 30 000 cas hier, 35 000 aujourd'hui, 100 000 morts à ce jour, on est dans la troisième vague, c'est surtout lié dit-il au variant britannique plus virulent et plus grave (normal pour un virus, un virus qui rigolerait et ne serait pas virulent ne serait pas pris au sérieux, ce ne serait pas bon pour sa réputation, et, tu ne l'as peut-être pas remarqué, mais le variant anglais est devenu britannique depuis quelques jours, ne me demande pas ce que ça signifie, mais ça dépasse certainement le simple effet de mode). Pépère nous explique que partout en Europe c'est pareil, une façon de se dédouaner peut- être, histoire de dire que ce n'est pas de sa faute, qu'il n'y est pour rien, on ne peut quand même pas lui reprocher. 
Les réanimations sont pleines de gens plus jeunes que la dernière fois, pour des séjours plus longs. La situation se dégrade, on a pris des mesures qui ne sont pas légères, et pas faciles, à ce prix on a pu tenir. On a accéléré les vaccinations (tout ça pour dire qu'on a fait une opération ponctuelle de masse un samedi suite à un coup de gueule du Président devant des frigos pleins). Tester, alerter, protéger, on le fait de mieux en mieux, de plus en plus (tu avoueras que le virus n'est pas complaisant, il y a même un mutant breton qui n'est pas détecté par les tests PCR, pour tracer les cas contacts c'est sûr que ça devient comme un combat de boxe dans un tunnel [le tunnel justement dont on ne voit pas le bout]). La territorialisation nous permet d'élaborer une stratégie pertinente (c'est lui qui le dit et qui le croit, on jugera de la pertinence à l'usage), et après une description cauchemardesque des niveaux de contamination dans différents départements, il en conclut qu'il faut aller plus loin, le confinement du week-end ne suffisant visiblement pas. On a appris du passé, on pense qu'il faut maintenant freiner sans enfermer, le moins possible, mais au moins quatre semaines pour commencer. On ne confine pas tout à la différence des autres (l'Allemagne ou l'Italie), en concertation avec le Président on a décidé de mesures pragmatiques, proportionnées et territorialisées, de laisser les écoles ouvertes, et les lycées à mi-temps, d'autoriser les activités sportives scolaires et extra-scolaires aux mineurs, l'idée étant d'interdire au maximum les lieux clos (et confinés). En conséquence les commerces sont fermés, sauf ceux de première nécessité (liste à géométrie variable et modifiable à la demande, il y a des nécessités qui sont plus nécessaires que d'autres, ou qui sont plus bruyantes, ou plus influentes...). 
Les autorisations de déplacements seront assouplies pour permettre la promenade et les activités sportives le jour, dans un rayon de dix kilomètres, et le couvre-feu retardé à 19 heures partout. Les grands déplacements sont évidemment interdits. Le Premier Ministre a rappelé la confiance qu'il faisait à notre sens des responsabilités, il a parlé de mesures indispensables et équilibrées (et je suis assez d'accord avec sa façon de voir, on dirait presque que le bon sens a repris le dessus), modifiables en fonction de l'évolution de la situation) pour au moins quatre semaines. Il attend beaucoup de la vaccination qui va s'accélérer fortement, il a même évoqué des vaccinations le week-end, tu te rends compte si on se remue, on a même entendu mobilisation générale ! (Mais c'était déjà le cas il y a quinze jours, la mobilisation générale, elle traîne un peu, c'est aussi long que pour construire un hôpital de campagne). La fin de suspension de l'Astra-Zénéca était attendue à l'heure où il parlait, mais il a déjà prévu de se faire vacciner (avant son tour, mais c'est bien pour montrer l'exemple et redonner confiance). La mi-avril devrait être l'occasion d'un premier bilan, d'autant qu'on attend le Janssen à ces dates (ma mère me disait « au pays des promesses on meurt de faim »). 
Le Ministre de la Santé prend le relais, presque guilleret, en bien meilleure forme que la dernière fois (il n'a pas oublié de boire son Red Bull cette fois-ci) pour rappeler les bons comportements, les gestes barrières (si tu les a oubliés, c'est que tu as vraiment des soucis de mémorisation, depuis qu'on nous en bassine), rien de plus. Pépère reprend la main, martial, pour dire qu'on est prêts, derrière les soignants, à affronter la troisième vague, qu'on a tout mis en œuvre pour des mesures pragmatiques, proportionnées et équitables, et que nos sacrifices ne seront pas vains en attendant la vaccination. 
Joli cafouillage en conséquence : Annonce des mesures jeudi en fin d'après-midi, tu pourrais penser que les textes sont prêts, tu attendras au moins samedi pour obtenir à grand-peine les attestations dérogatoires correspondantes, et quand tu les as, tu t'aperçois que c'est carrément abscons (je pèse mes mots, j'aurais pourtant encore pu écrire plus court sans trahir ma pensée), c'est incompréhensible, alambiqué, les distances, les horaires ont changé, tu ne sais plus si tu peux faire pisser ton chien le week- end, ou alors seulement la nuit, mais à moins de trente kilomètres, dans les départements sous haute surveillance, tu ne sais même plus si tu as le droit d'habiter chez toi, trois pages, il te faut au moins un trombone pour retenir la liasse, avec un paraphe à chaque feuille comme chez le notaire. En tout cas, je savais que je pouvais au moins sortir de jour, et qu'il y avait une case possible à cocher pour aller voir mon député ou aller à la messe. Pour le reste, c'était plus imprécis. C'est bien le télé-travail, mais les penseurs zélés qui le pratiquent et qui ont élaboré en vitesse les limites de ces dérogations (prouesse, en moins de quarante huit heures, je te le signale, tu sens qu'il y a eu du brainstorming sévère, des tempêtes sous des crânes dans les ministères pour cette prestation) auraient dû se concerter un peu, ou alors ils n'ont pas encore la fibre et leur vidéo-conférence rame un peu. Le truc était tellement nul (abscons ?) qu'ils s'en sont aperçus eux mêmes, c'est dire. Il a fallu qu'un intellectuel filandreux et quelque peu retors, ou du moins quelqu'un qui pense l'être (intellectuel) trouve une solution dans le genre œuf de Christophe Colomb : l'attestation de domicile. Tu te promènes maintenant autour de chez toi dans un rayon de dix kilomètres avec simplement une attestation de domicile, c'est une vraie liberté (il faut être masqué toutefois). Il n'est pas précisé que tu doives décliner ton identité (et en justifier), si tu es dégourdi, tu peux, en présentant l'attestation de domicile de quelqu'un d'autre habitant à moins de dix kilomètres de chez toi élargir ton champs des possibles, ton aire de liberté, de proche en proche tu peux voyager un peu (mais ça ne serait pas citoyen ni raisonnable), c'est juste pour dire que cette mesure (certes de bon sens) sent quand même un peu le rafistolage. 
Mais on ne peut pas trop faire les difficiles, un Exécutif qui résout la quadrature du cercle et nous refile l’œuf de Christophe Colomb dans le même week-end ne peut pas être entièrement mauvais. Peut-être même qu'il a le sens de l'humour en sus.

Aucun commentaire: